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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/454

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450 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

une bonne fois au théâtre, pour lequel vous n’avez d’ailleurs aucun talent. »

Wilhelm parut saisi ; il eut besoin de se remettre, car le rude langage de Jarno avait sensiblement blessé sa vanité. « Si vous pouvez m’en convaincre, répondit-il, avec un sourire forcé, vous m’obligerez c’est pourtant un triste service à rendre aux gens que de les arracher à leur plus doux songe. Sans en dire davantage sur ce sujet, reprit Jarno, je voudrais vous décider à nous amener d’abord les enfants. Le reste ira de soi-même.

Me voilà prêt, dit Wilhelm je suis inquiet et impatient de savoir si je ne pourrai découvrir quelque chose de plus sur le sort de l’enfant ; il me tarde de revoir la petite fille qui m’a voué une si singulière affection.

Il fut convenu que Wilhelm partirait sans retard. Le lendemain, il avait fait ses préparatifs ; le cheval était sellé ; il n’avait plus qu’à prendre congé de Lothaire. C’était l’heure du repas on se mit a table, comme de coutume, sans attendre le maître ; il revint fort tard, et prit place auprès de ses amis.

« Je gagerais, dit Jarno, que vous avez mis encore aujourd’hui votre cœur sensible à l’épreuve vous n’avez pu résister au désir de revoir votre Marguerite.

Vous avez deviné, répondit Lothaire.

Dites-nous comment les choses se sont passées. Je suis fort curieux de l’apprendre.

-J’avoue, reprit Lothaire, que l’aventure me tenait au cœur plus que de raison. Je pris donc la résolution de retourner, et de voir réellement la personne dont l’image rajeunie m’avait fait une illusion si agréable. Je mis pied à terre à quelque distance de la maison, et je fis conduire les chevaux à l’écart, pour ne pas troubler les enfants, qui jouaient devant la porte. J’entrai dans la maison, et, par hasard, Marguerite vint au-devant de moi, car c’était ell-emême) : je la reconnus, quoique fort changée. Elle était devenue plus forte et paraissait plus grande ; sa grâce brillait travers un tranquille maintien, et sa gaieté avait fait place à une paisible gravité. Sa tête, qu’autrefois elle portait si légèrement, était un peu inclinée, et des rides légères se dessinaient sur son front.