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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/48

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communiquait avec la maison du bailli par une porte dérobée, et on les avait introduits secrètement. Le greffier reçut les compliments sincères de Wilhelm pour ces ménagements, bien qu’il n’eût voulu, dans le fond, que narguer le peuple assemblé devant la maison, et lui dérober l’agréable spectacle de l’humiliation d’une concitoyenne.

Le bailli, qui avait peu de goût pour ces cas extraordinaires, parce qu’il y commettait le plus souvent quelques bévues, et qu’il recevait ordinairement de l’autorité supérieure, en récompense de ses excellentes intentions, une verte réprimande, se rendit à pas lents à son tribunal, suivi du greffier, de Wilhelm et de quelques notables bourgeois.

D’abord on introduisit la belle, qui se présenta sans arrogance, avec calme et dignité. Sa toilette et toutes ses manières annonçaient une jeune fille qui s’estimait. Elle commença, avant d’être interrogée, à parler, non sans adresse, de sa situation. Le greffier lui imposa silence, et tenait sa plume toute prête sur le papier. Le bailli se donna une contenance, regarda le greffier, toussa légèrement, et demanda à la pauvre enfant son nom et son âge.

«  Permettez, monsieur, répliqua-t-elle, je dois trouver fort singulier que vous me demandiez mon nom et mon âge, quand vous savez fort bien comment je m’appelle, et que je suis du même âge que votre fils aîné. Ce que vous voulez et ce que vous devez savoir de moi, je vous le dirai volontiers sans détour. Depuis le second mariage de mon père, je ne suis pas trop bien traitée dans la maison. Il s’est offert pour moi quelques bons partis ; mais ma belle-mère, que la dot effrayait, a su les écarter. J’ai fait la connaissance du jeune Mélina ; il a su se faire aimer, et, prévoyant les obstacles qui s’opposeraient à notre union, nous avons résolu de chercher ensemble dans le monde un bonheur que nous ne pouvions espérer dans ma famille. Je n’ai rien emporté que ce qui m’appartenait ; nous n’avons pas pris la fuite comme des voleurs et des brigands, et mon amant ne mérite pas qu’on le traîne de lieu en lieu enchaîné et garrotté. Le prince est juste : il n’approuvera pas cette rigueur. Si nous sommes coupables, nous ne le sommes pas jusqu’à mériter ces traitements. »