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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/529

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DE WILHELM MEISTER. 525

pris de voir Lothaire, Jarno et l’abbé. Nathalie courut au-devant de son frère ; les autres personnes gardèrent un moment le silence ; bientôt Thérèse dit à Lothaire en souriant

« Vous ne comptiez guère me trouver ici. Il n’est pas trop sa~e de nous rapprocher dans ce moment cependant recevez ma cordiale salutation après une si longue absence ! » Lothaire lui tendit la main, et répondit

S’il faut une fois se résoudre à la souffrance et au renoncement, on peut s’y soumettre, même en présence de l’objet désirable et chéri. Je ne prétends exercer aucune influence sur votre résolution, et ma confiance en votre cœur, votre raison et votre pure intelligence est toujours si grande, que je remets volontiers entre vos mains mon sort et le sort de mon ami. }) La conversation fut mise aussitôt sur des matières générales et même insignifiantes. Les amis se dispersèrent deux à deux ; Nathalie était sortie avec Lothaire, Thérèse avec l’abbé ; Wilhelm et Jarno restèrent dans la maison.

L’apparition des trois amis, au moment où Wilheim était accablé de douleur, au lieu de le distraire, avait irrité et assombri son humeur ; il était chagrin et défiant, et ne put et ne voulut pas s’en cacher, quand Jarno lui reprocha son silence morose.

« Qu’attendre encore ? disait Wilhelm. Voici Lothaire avec ses conseillers il serait étrange que les mystérieuses puissances de la tour, qui sont toujours si actives, n’agissent pas sur nous maintenant, et n’accomplissent pas, avec nous et sur nous, je ne sais quel projet bizarre. Autant que je puis connaître ces saints hommes, leur louable dessein semble être constamment de séparer ce qui est uni et d’unir ce qui est séparé. Quel tissu cela pourra former à la fin, c’est là, je pense, une énigme éternelle pour nos profanes yeux.

Vous montrez du chagrin et de l’amertume, dit Jarno ? c’est fort bien. Si vous pouvez une fois vous fâcher tout de bon, ce sera mieux encore.

Vous pourrez avoir cette satisfaction, répliqua Wilhelm, et je crains fort que l’on n’ait envie de pousser à bout, cette fois, ma patience naturelle et acquise.

Je pourrais donc, s’il vous plaît, dit Jarno, en attendant