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546 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

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jour ma patrie, pourquoi j’aurais besoin de la compagnie d’un Italien.

Parce qu’un jeune homme a toujours des raisons pour s’attacher à une compagnie, répondit l’abbé, d’un air imposant.

Wilheim, qui sentait bien qu’il n’était pas en état de se posséder plus longtemps, car la seule présence de Nathalie le calmait encore repartit avec quelque précipitation

« Qu’on me laisse encore un peu de réflexion je présume qu’il sera bientôt décidé si j’ai des raisons pour m’attacher encore, ou si au contraire le cœur et la raison ne m’ordonnent pas absolument de briser tant de liens, qui me menacent d’une éternelle et misérable servitude. »

Il avait dit ces mots avec une vive émotion un regard adressé à Nathalie lui rendit quelque tranquillité, car, en ce moment, où la passion l’agitait, la beauté et le mérite de cette jeune dame firent sur lui une impression plus profonde que jamais. « Oui, se dit-il, lorsqu’il se trouva seul, avoue que tu l’aimes, et que tu sens encore une fois ce que c’est qu’aimer avec toutes les forces de son âme. C’est ainsi que j’aimais Marianne, qui fut victime de mon affreuse erreur ; j’aimais Philine et je dus la mépriser ; j’estimais Aurélie et je ne pus l’aimer ; j’honorais Thérèse et l’amour paternel se transforma en inclination pour elle ; et maintenant que tous les sentiments qui peuvent rendre l’homme heureux se réunissent dans mon cœur maintenant, je suis forcé de fuir ! Pourquoi faut-il qu’à ces sentiments, à ces convictions s’associe l’irrésistible désir de la possession ? Et pourquoi, sans la possession, ces convictions, ces sentiments détruisent-ils absolument toute autre félicité ? Pourrais-je, à l’avenir, jouir de la lumière et de l’univers de la société ou de tout autre bien ? Ne me dirai-je pas toujours Nathalie n’est pas < la ! Hélas ! et Nathalie me sera pourtant toujours présente si je-ferme les yeux, elle s’offrira à ma pensée ; si je les ouvre, je verrai son image errante devant chaque objet, comme les apparences que laisse dans notre œil une image éblouissante. Déj\ la figure fugitive de l’amazone n’était-elle pas sans cesse présente à ma pensée ? Et je n’avais fait que la voir, je ne la connaissais pas. Maintenant que je la connais que j’ai vécu dans