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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/569

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DE WILHELM MEISTER. 565

et fit assez clairement paraître sa joie que Dieu eût rappelé a lui la pauvre créature, et l’eût ainsi préservée de souffrir ou de causer un plus grand malheur.

A cette occasion, l’on reproduisit toutes les fables que l’on conte sur notre lac. On disait qu’il devait engloutir chaque année un enfant innocent, mais qu’il ne gardait aucun cadavre, et qu’il les rejetait tôt ou tard sur le rivage tout, jusqu’au dernier petit ossement, descendu au fond de ses eaux, devait reparaître. On racontait l’histoire d’une mère inconsolable, dont l’enfant s’était noyé dans le lac, et qui avait supplié Dieu et les saints de lui rendre au moins les ossements pour les ensevelir la première tempête avait rejeté le crâne sur le bord, la deuxième le tronc, et, quand tous les ossements furent recueillis, la mère les avait portés à l’église, enveloppés dans un linceul. Mais, ô miracle ! comme elle entrait dans le temple, le fardeau était devenu toujours plus pesant, et enfin, lorsqu’elle l’eut déposé sur les marches de l’autel, l’enfant s’était mis à crier, et, au grand étonnement de l’assistance, s’était débarrassé du linceul. Un os du petit doigt manquait seul à la main droite ; et la mère l’ayant ensuite soigneusement cherché et retrouvé, il fut conservé, en mémoire du miracle, parmi les reliques de l’église.

Ces histoires firent une grande impression sur la pauvre mère son imagination prit un nouvel essor, et flatta les mouvements de son cosur. Elle se persuada que l’enfant avait expié sa naissance et la faute de ses parents ; que la malédiction et la peine qui avaient pesé sur eux jusqu’alors étaient complètement abolies ; qu’il ne fallait plus que retrouver les ossements de l’enfant pour les porter à Rome, et qu’il ressusciterait, dans toute sa fraîcheur et toute sa beauté, en présence du peuple, sur les marches du grand autel de Saint-Pierre ; qu’il reverrait de ses yeux son père et sa mère, et que le pape, convaincu du consentement de Dieu et de ses saints, pardonnerait aux parents leur péché, au milieu des acclamations du peuple, leur donnerait l’absolution et la bénédiction nuptiale.

Dès lors ses regards et son attention furent constamment dirigés vers le rivage. La nuit, quand les flots se brisaient au clair de lune, elle croyait voir chaque vague brillante lui apporter sa fille ; il fallait qu’une personne courût au rivage et