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666 LES ANNEE ? D’APPRENTISSAGE

feignît de la recevoir. Le jour, elle parcourait incessamment la grève ; elle recueillait dans un panier tous les os qu’elle trouvait nul n’osait lui dire que c’étaient des os d’animaux ; elle enterrait les grands, elle emportait les petits. C’était son occupation continuelle. Le prêtre qui, par son zèle obstiné, l’avait mise en cet état, s’intéressa désormais de tout son pouvoir a l’infortunée. Par son influence, elle fut considérée dans le pays comme une inspirée, et non comme une folle on s’arrêtait dévotement à son passage, et les enfants lui baisaient la main.

La vieille surveillante qui avait favorisé la malheureuse union des deux amants, n’obtint du confesseur l’absolution de sa faute, qu’a condition qu’elle veillerait, tout le reste de sa vie, sur l’infortunée. Elle a rempli jusqu’au bout ses devoirs avec une patience et une fidélité admirables.

Cependant nous n’avions pas perdu de vue notre frère. i\i les médecins ni les religieux du couvent ne voulaient nous permettre de paraître devant lui ; mais, pour nous convaincre qu’il allait bien selon son état, on nous autorisait it l’observer, aussi souvent que cela nous plaisait, dans le jardin, dans les corridors, et même par une ouverture pratiquée dans le plafond de sa cellul.e.

Après beaucoup de crises affreuses et singulières, que je passerai sous silence, il était tombé dans un calme d’esprit et une agitation corporelle extraordinaires. Il n’était presque jamais assis, si ce n’est lorsqu’il prenait sa harpe, et jouait, le plus souvent, pour accompagner son chant. Du reste, il était sans cesse en mouvement, et, en toutes choses, extrêmement souple et docile ; car toutes ses passions semblaient être réduites à la seule crainte de la mort. On pouvait le déterminer à tout au monde, en le menaçant de la mort ou d’une grave maladie. Outre sa manie d’aller et venir sans cesse dans l’intérieur du cloître, et de faire entendre, assez clairement, qu’il aimerait mieux encore courir de la sorte par monts et par vaux, il parlait aussi d’une vision qui le tourmentait souvent. Il assurait qu’à toute heure de la nuit, lorsqu’il venait à s’éveiller, un beau petit garçon paraissait au pied de son lit, et le menaçait d’un poignard étincelant. On le transporta dans une autre cel