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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/573

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DE WILHELM MEISTER. 569

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pliquer, et qu’on ne pouvait non plus traiter simplement d’impostures. Tout le pays était en mouvement, et ceux qui ne venaient pas eux-mêmes n’entendirent du moins, pendant quelque temps, parler d’aucune autre chose.

Le couvent où mon frère se trouvait retentit, comme tout le pays, du bruit de ces miracles, et l’on se garda d’autant moins d’en parler en présence d’Augustin, que, d’ordinaire, il ne faisait attention à rien, et que sa liaison avec Spérata n’était connue de personne dans la communauté. Mais, cette fois, il parut avoir écouté fort attentivement ; il ménagea sa fuite avec une telle adresse, que personne n’a jamais pu comprendre comment il s’échappa du couvent. On apprit plus tard qu’il s’était fait transporter sur l’autre bord avec une troupe de pèlerins, et qu’il avait seulement prié avec instance les bateliers (qui ne remarquèrent chez lui aucune autre singularité) de manœuvrer avec le plus grand soin et de ne pas laisser chavirer la barque. Bien avant dans la nuit, il visita la chapelle où sa malheureuse amante se reposait de ses maux ; un petit nombre de pèlerins étaient agenouillés à l’écart ; la vieille amie de Spérata était assise à son chevet il approcha, la salua et lui demanda des nouvelles de son amante.

« Vous la voyez, x répondit-elle avec embarras.

Il regarda le corps à la dérobée, fut saisi d’un frémissement, prit la main de la morte mais, effrayé de la trouver froide, il la laissa retomber aussitôt. Il jeta autour de lui des regards inquiets et dit à la vieille

« Je ne puis rester maintenant près d’elle ; j’ai encore à faire un grand voyage, mais je reviendrai à temps dis-le-lui, quand elle se réveillera. »

Il partit. Nous ne fûmes informés que bien tard de l’événement. On fit des recherches elles demeurèrent inutiles. Comment parvint-il à franchir les montagnes et les vallées, c’est ce qu’on ne peut comprendre. Longtemps après, nous découvrîmes enfin quelques traces de lui dans les Grisons ; malheureusement c’était trop tard, et nous les perdîmes bientôt. Nous soupçonnâmes qu’il était en Allemagne, mais la guerre avait effacé complètement les faibles vestiges de son passage.