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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/585

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DE WILHELM MEISTER. &3I

Contre son habitude, Jarno était silencieux, et semblait même avoir perdu ’quelque chose de sa sérénité accoutumée. Heureusement le docteur vint au secours de notre ami, en le déclarant malade et le soumettant à ses ordonnances.

La société se rassemblait tous les soirs, et le pétulant Frédéric, qui d’ordinaire avait bu plus que de raison, s’emparait de la conversation, et, à sa manière, par mille citations et mille allusions facétieuses, provoquait le rire dans toute la société, et la mettait assez souvent dans l’embarras, en se permettant de penser tout haut. Il semblait ne pas croire du tout à la maladie de son ami. Un soir, que la compagnie était rassemblée « Docteur s’écria-t-il, comment appelez-vous le mal qui a surpris notre ami ? Ne pouvez-vous y appliquer une des trois mille dénominations dont vous habillez votre ignorance ? Des cas semblables n’ont pas manqué sans doute. Il s’en trouve un pareil, poursuivit-il avec emphase, dans l’histoire d’Égypte ou de Babylone. »

On se regardait en souriant.

« Comment s’appelait ce roi ?. poursuivit-il, et il s’arrêta un moment, puis, reprenant la parole

« Si vous ne voulez pas venir à mon secours je saurai bien m’en tirer moi-même.

En parlant ainsi, il ouvrit brusquement les deux battants de la porte, et, indiquant du doigt le grand tableau du vestibule « Comment appelez-vous ce roi à longue barbe, qui se désole au pied du lit de son fils malade ? Comment s’appelle la jeune beauté qui entre dans la salle, et qui porte dans ses yeux fripons et modestes le poison et l’antidote ? Comment se nomme le bélître de médecin, qu’un trait de lumière éclaire enfin dans ce moment, et qui trouve, pour la première fois de sa vie, l’occasion de prescrire une ordonnance raisonnable, d’offrir un remède qui guérit radicalement, et qui est aussi agréable que salutaire ? »

Frédéric continua sur ce ton ses plaisanteries. La société faisait aussi bonne contenance qu’elle pouvait, et cachait son embarras sous un rire forcé ; une légère rougeur couvrit les joues de Nathalie et trahit les mouvements de son cœur. Heureusement elle se promenait dans le salon avec Jarno quand elle fut