Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/59

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pour entamer avec lui un entretien sérieux, important et inattendu.

Werner était un de ces hommes éprouvés, persévérants dans leurs habitudes, qu’on a coutume d’appeler froids, parce que, dans l’occasion, ils ne s’enflamment ni promptement ni visiblement : aussi son commerce avec Wilhelm était-il une lutte perpétuelle, mais qui ne faisait que resserrer les liens de leur amitié. Car, malgré la différence de leurs opinions, chacun d’eux trouvait son compte avec l’autre. Werner s’applaudissait en lui-même, parce qu’il semblait mettre de temps en temps le mors et la bride à l’esprit de Wilhelm, excellent sans doute, mais parfois exalté, et Wilhelm sentait souvent une joie triomphante, lorsqu’il entraînait son prudent ami dans ses bouillants transports. Ils s’exerçaient ainsi l’un sur l’autre ; ils s’étaient accoutumés à se voir tous les jours, et l’on aurait dit que le désir de se rencontrer, de s’entretenir, fût augmenté par l’impossibilité de se mettre d’accord. Au fond, comme ils étaient bons l’un et l’autre, ils marchaient côte à côte ensemble au même but, et ne parvenaient pas à comprendre pourquoi ni l’un ni l’autre ne pouvait amener son ami à son sentiment.

Werner remarquait depuis quelque temps que les visites de Wilhelm devenaient plus rares ; dans ses sujets favoris, il était bref, distrait et coupait court à l’entretien ; il ne s’arrêtait plus à développer vivement des idées singulières, en quoi se fait le plus sûrement reconnaître un cœur libre, qui trouve le repos et le contentement en présence d’un ami.

Werner, attentif et circonspect, en chercha d’abord la faute dans sa propre conduite, mais quelques bruits de ville le mirent sur la voie, et quelques imprudences de Wilhelm firent approcher son ami de la vérité. Il alla aux renseignements, et découvrit bientôt que, depuis quelque temps, Wilhelm avait fréquenté ouvertement une comédienne, lui avait parlé au théâtre, l’avait reconduite chez elle ; il eût été inconsolable, s’il avait eu aussi connaissance des rendez-vous nocturnes ; car on lui disait que Marianne était une séductrice, qui vraisemblablement dépouillait son ami, et se faisait en même temps entretenir par le plus indigne amant.

Aussitôt que ses soupçons approchèrent de la certitude, il