Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/60

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résolut d’attaquer Wilhelm, et toutes ses batteries étaient prêtes, quand son ami, triste et mécontent, revint de son voyage.

Dès le même soir, Werner lui communiqua tout ce qu’il savait, d’abord avec calme, ensuite avec la pressante sévérité d’une amitié dévouée ; il n’oublia pas un détail, et fit savourer à son ami toutes les amertumes que les hommes tranquilles ont coutume de répandre si libéralement, avec une vertueuse et maligne jouissance, dans le cœur des amants. Mais, comme on l’imagine, il produisit peu d’impression.

Wilhelm répliqua avec une profonde émotion, mais avec une grande assurance :

«  Tu ne connais pas cette fille. Peut-être l’apparence n’est pas à son avantage, mais je suis aussi sûr de sa fidélité et de sa vertu que de mon amour. »

Werner persista dans son accusation, et offrit des preuves et des témoins. Wilhelm les rejeta et s’éloigna de son ami, saisi de trouble et d’angoisse, comme le malheureux à qui un dentiste maladroit a tourmenté une dent solide et malade, qu’il a vainement secouée.

Wilhelm sentait un extrême déplaisir de voir troublée et presque défigurée dans son âme la belle image de Marianne, d’abord par les rêveries qui l’avaient obsédé dans son voyage, puis par la dureté de Werner. Il eut recours au plus sûr moyen de rendre à cette image tout son éclat et toute sa beauté, en courant le soir chez Marianne par les chemins accoutumés. Elle l’accueillit avec une vive joie. En arrivant, il avait passé à cheval sous ses fenêtres ; elle l’avait attendu dès cette nuit, et l’on peut juger que tous les doutes furent bientôt bannis de son cœur. La tendresse de Marianne lui rendit même toute la confiance de son amant, et il lui rapporta combien le public, combien son ami, s’étaient rendus coupables envers elle. La conversation, fort animée, roula sur les premiers temps de leur liaison, souvenir qui est toujours pour deux amants un des plus doux sujets d’entretien. Les premiers pas que l’on fait dans le labyrinthe de l’amour sont si délicieux, les premières perspectives, si ravissantes, qu’on se les rappelle avec enchantement ; on se dispute l’un à l’autre l’avantage d’avoir aimé plus vite, avec plus de désintéressement, et, dans