Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/64

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«  Marianne, tu vois de quel effort je suis capable pour réassurer ta possession. Vivre si longtemps sans te voir, te savoir au milieu du vaste monde, je ne puis m’arrêter à cette pensée : mais, si je me représente ton amour, qui dissipe toutes mes craintes ; si tu ne dédaignes pas ma prière, et si, avant notre séparation, tu me donnes ta main en présence du prêtre, je partirai tranquille. Ce n’est, entre nous, qu’une formalité, mais une formalité si belle ! la bénédiction du ciel jointe à la bénédiction de la terre ! Dans la seigneurie voisine, la cérémonie peut aisément s’accomplir en secret.

«  J’ai assez d’argent pour commencer : nous partagerons, et nous aurons tous deux le nécessaire. Avant que ces ressources soient épuisées, le ciel nous aidera.

«  Oui, mon amie, je suis sans inquiétude. Une entreprise commencée avec tant de joie doit avoir une heureuse réussite. Je n’ai jamais douté qu’on ne puisse s’avancer dans le monde, si on le veut sérieusement ; et je me sens assez de courage pour gagner largement la subsistance de deux, de plusieurs…. Le monde est ingrat, dit-on : je n’ai pas encore trouvé qu’il soit ingrat, si l’on sait, de la bonne manière, faire quelque chose pour lui. Tout mon esprit s’enflamme, à la pensée de monter enfin sur la scène, et d’adresser au cœur des hommes un langage que depuis longtemps ils brûlent d’entendre. Moi, que la beauté de l’art dramatique a si fortement saisi, j’ai été mille fois blessé au fond de l’âme, quand j’ai vu les plus misérables des hommes s’imaginer qu’ils pouvaient adresser à notre cœur une grande et puissante parole. Une maigre voix de fausset est plus sonore et plus pure. Il est inouï, l’attentat dont ces drôles se rendent coupables dans leur grossière ignorance.

«  Le théâtre fut souvent en querelle avec la chaire. Ils ne devraient pas, ce me semble, vivre en ennemis. Comme il serait à souhaiter que, dans l’un et dans l’autre lieu, la Divinité et la Nature ne fussent glorifiées que par de nobles esprits ! Ce n’est pas un rêve, mon amie : depuis que j’ai pu sentir sur ton cœur que tu sais aimer, j’embrasse la glorieuse pensée, et je dis…. Je ne veux pas m’expliquer, mais je veux espérer qu’un jour nous apparaîtrons aux hommes comme deux bons génies, pour ouvrir leurs cœurs, toucher leur sentiment et leur préparer des