Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


«  Pas si vite, s’écria-t-elle, j’attends encore une visite.

— Ce n’est pas bien, répliqua la vieille. Ce n’est pas, j’espère, ce jeune fils de marchand, si tendre et sans barbe au menton ?

— C’est lui-même.

— Il semble que la générosité veuille devenir votre passion dominante, reprit la vieille d’un ton moqueur ; vous prenez un bien vif intérêt aux mineurs, aux indigents…. Ce doit être charmant de se voir adorée de la sorte, et de donner sans recevoir !

— Raille tant que tu voudras. Je l’aime ! je l’aime !… Quel ravissement j’éprouve, pour la première fois, à prononcer ce mot ! C’est là cette passion que j’ai jouée si souvent, dont je n’avais aucune idée. Oui, je veux me jeter à son cou, je veux le presser dans mes bras, comme si je devais le posséder toujours. Je veux lui montrer tout mon amour, jouir du sien dans toute son étendue.

— Modérez-vous, dit la vieille tranquillement, modérez-vous. Il faut vous dire un mot qui troublera votre joie : Norberg arrive ; il arrive dans quinze jours. Voici sa lettre, qui accompagnait les cadeaux.

— Et quand les premiers rayons du soleil devraient me ravir mon ami, je ne veux pas le savoir ! Quinze jours ! quelle éternité ! En quinze jours que ne peut-il survenir ! quels changements ne peuvent se faire ! »

Wilhelm entra. Avec quelle vivacité elle vola au-devant de lui ! Avec quels transports il entoura de ses bras l’uniforme rouge, il pressa contre son sein le gilet de satin blanc ! Qui saurait décrire, qui se permettrait d’exprimer le bonheur des deux amants ! La vieille s’éloigna en murmurant. Hâtons-nous avec elle et laissons seuls les heureux.