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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/8

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déroulés, était déployée sur la petite table, comme un présent de Noël ; la disposition des lumières relevait l’éclat du cadeau ; tout était en ordre, quand la vieille entendit les pas de Marianne dans l’escalier, et courut au-devant d’elle. Mais comme elle recula de surprise, quand le petit officier féminin, sans prendre garde à ses caresses, passa brusquement devant elle, entra dans la chambre avec une précipitation extraordinaire, jeta sur la table son chapeau à plumes et son épée, marcha de long en large avec agitation, sans accorder un regard aux bougies solennellement allumées !

«  Qu’as-tu, ma chère enfant ? s’écria la vieille étonnée. Au nom du ciel, ma fille, qu’est-il arrivé ? Vois ces cadeaux : de qui peuvent-ils venir, si ce n’est de ton plus tendre ami ? Norberg t’envoie la pièce de mousseline, pour en faire des peignoirs. Il arrivera bientôt lui-même : il me paraît plus épris et plus généreux que jamais. »

La vieille se retournait et voulait montrer les cadeaux qu’elle-même avait reçus, quand Marianne, détournant les yeux, s’écria avec passion :

«  Laisse-moi ! laisse-moi ! Aujourd’hui je ne veux pas entendre parler de tout cela. Je t’ai obéi ; tu l’as voulu : à la bonne heure ! Quand Norberg reviendra, je serai encore à lui, je serai à toi ; fais de moi ce que tu voudras : mais, jusque-là, je veux être à moi, et, quand tu aurais cent langues, tu n’ébranlerais pas ma résolution. Je veux me donner tout entière à celui qui m’aime et que j’aime. Ne fronce pas le sourcil. Je veux m’abandonner à cette passion, comme si elle devait être éternelle. »

La vieille ne manqua pas d’objections et d’arguments ; mais, comme, dans la suite du débat, elle devenait amère et violente, Marianne s’élança sur elle et la saisit à la gorge : la vieille riait aux éclats.

«  Il faut, s’écria-t-elle, que je vous passe bien vite une robe, si je veux être sûre de ma vie. Allons, qu’on se déshabille ! J’espère que la jeune fille me demandera pardon du mal que m’a fait le fougueux gentilhomme. À bas cet habit et tout le reste !… C’est un équipage incommode et dangereux pour vous, comme je vois. Les épaulettes vous enflamment. »

Barbara s’était mise à l’œuvre ; Marianne se dégagea.