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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/103

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cie, il se trouva en présence de Lucinde et d’Antoni ! Il aurait voulu que la terre l’engloutît, mais il resta comme s’il eût pris racine sur la place, quand Lucinde lui souhaita la bienvenue, de l’air le plus ingénu et le plus amical, s’approcha de lui et le pria de s’asseoir à son côté. Il obéit machinalement, et, lorsqu’elte lui adressa la parole, s’informa de la manière dont il avait passé la journée, et s’excusa d’avoir été absorbée par les soins du ménage, le son de sa voix le fit tressaillir. Antoni se leva et prit congé : Lucinde, s’étant remise à son tour, proposa une promenade à Lucidor. En marchant à ses côtés, il était silencieux et embarrassé ; elle-même paraissait inquiète, et, s’il avait eu quelque sang-froid, il aurait pu remarquer, à sa respiration pénible, qu’elle étouffait de tendres soupirs. Elle prit enfin congé de lui, lorsqu’ils approchèrent de la maison ; mais lui, il se dirigea vers la campagne, d’abord à pas lents, puis d’une marche précipitée. Le parc n’était pas assez vaste pour lui ; il courut à travers champs, sans rien entendre que la voix de son cœur, et tout à fait insensible aux beautés de la plus admirable soirée. Lorsqu’il se vit seul, et que ses sentiments se furent épanchés en un torrent de larmes bienfaisantes, il s’écria :

« J’ai déjà senti quelquefois dans ma vie, mais pas encore d’une manière aussi cruelle, la douleur qui me rend désormais tout à fait misérable : voir le bonheur, qui vient à nous, qui prend notre main dans la sienne, appuie son bras sur le nôtre, et nous adresse à l’instant même un éternel adieu ! J’étais assis près d’elle, je marchais à ses côtés ; les plis de sa robe flottante me touchaient, et je l’avais déjà perdue ! Ne te retrace plus ces choses ; ne reviens pas là-dessus : tais-toi et sache te résoudre ! »

Il s’était lui-même fermé la bouche : il gardait le silence ; il rêvait à travers les champs, les prés et les bois, sans suivre toujours les sentiers les plus praticables. Ce fut seulement lorsqu’il rentra bien tard dans sa chambre, qu’il cessa de se contenir et s’écria :

« Je partirai demain matin ! Je ne passerai pas une seconde journée comme celle-ci. »

Et il se jeta tout habillé sur son lit.

Heureuse et saine jeunesse ! Déjà il dormait. Le mouvement