Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/105

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Ce fut pour Lucidor un double chagrin : il aimait son cheval, qui convenait à son caractère, à ses allures ; il était fâché de savoir la bonne- et intelligente bête dans les mains d’un jeune fou. Il voyait renversé son plan, son projet de fuir, dans cette crise, chez un ami d’université, avec lequel il avait vécu dans une intime et joyeuse union. Il avait senti renaître l’ancienne confiance et oublié les milles qui les séparaient ; déjà il avait cru trouver des conseils et du soulagement auprès d’un sage et bienveillant ami : cette perspective lui était maintenant fermée. Mais non, elle ne l’était pas, s’il avait le courage d’aller à son but sur ses bonnes jambes, qui étaient toujours à son service.

Son parti pris, il songea d’abord à sortir du parc, afin de gagner à travers champs la route qui devait le conduire chez son ami. Il hésitait sur la direction qu’il devait suivre, lorsqu’il aperçut, à main gauche, ef dominant la forêt, sur une bizarre charpente/l’ermitage, dont l’existence lui avait été cachée jusque-là, et, à sa grande surprise, il reconnut, sur la galerie abritée parle toit à la chinoise, le bon vieillard, tenu pour malade pendant quelques jours, et qui promenait gaiement ses regards de tous côtés. A ses salutations affectueuses, à ses pressantes invitations de monter auprès de lui, Lucidor répondit par des défaites et des salutations précipitées : mais, le bon vieillard se hâtant de descendre, d’un pas chancelant, l’escalier rapide, la crainte de le voir tomber décida Lucidor à courir audevant de lui et à se laisser conduire dans l’ermitage. Il entra avec surprise dans une agréable petite salle. Elle n’avait que trois fenêtres, qui donnaient sur la campagne dans une exposition ravissante : du reste, les cloisons étaient décorées, ou plutôt couvertes, dé cent et cent gravures et de quelques dessins collés à la paroi, les uns à côté des autres, dans un certain ordre, et séparés par des bordures et des intervalles coloriés.

« Je vous fais, mon ami, une faveur que je n’accorde pas à tout le monde, en vous introduisant dans le sanctuaire où je passe doucement mes derniers jours. C’est ici que je cherche le remède à toutes les fautes que la société me fait commettrë ; c’est ici que je retrouve l’équilibre de mes forces, après mes écarts de régime. »