Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/112

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« Tout cela devait aller autrement ! dit Lucinde. On avait si bien pris les mesures ! Et, maintenant, tout va pêle-mêle en tumulte ! »

Une joyeuse marche retentit de loin, et l’on vit la société s’avancer solennellement par la grande allée. Lucidor hésitait à marcher au-devant, et semblait avoir besoin du bras de Lucinde pour affermir ses pas. Elle resta auprès de lui, qui attendait, de moment en moment, la scène solennelle du revoir et des remerciements pour un pardon déjà accordé.

Mais les dieux fantasques en avaient ordonné autrement : le son bruyant et joyeux du cor d’un postillon se fit entendre du côté opposé et parut troubler toute la cérémonie.

« Qui peut venir ? » dit Lucinde.

Lucidor craignait quelque visite étrangère, et en effet la voiture avait l’air tout à fait étranger’ : c’était une chaise de voyage, à deux places, neuve, de la dernière nouveauté. Elle s’avança devant la salle. Un jockey, en belle livrée, sauta de son siége, ouvrit la portière, mais personne ne descendit de la voiture. Elle était vide. Le jockey y monta, repoussa adroitement les glaces, et, en un clin d’œil, l’élégante voiture fut transformée en une gracieuse calèche, aux yeux de tous les assistants, qui s’étaient approchés dans l’entrefaite. Antoni, devançant le reste de la société, conduisit Julie à la voiture.

« Essayez, lui dit-il, si cet équipage peut vous plaire, pour courir le monde avec moi par les meilleurs chemins. Je ne vous mènerai que par ceux-là, et, si quelquefois nous y sommes forcés, nous saurons trouver d’autres moyens : pour traverser les montagnes, nous prendrons des mulets, qui porteront aussi la voiture.

— Vous êtes charmant ! » s’écria Julie.

Le jockey s’approcha, et, avec l’adresse d’un escamoteur, il montra tous les avantages, tous les petits agréments, toutes les ressources de ce léger équipage.

« Je ne sais point vous remercier sur la terre ! dit Julie à Antoni. C’est seulement dans ce petit ciel mobile, c’est de ce nuage, au sein duquel vous m’élevez, que je veux vous remercier de tout mon cœur. »

Elle s’était élancée dans la voiture, en lui jetant des baisers et des regards tendres.