Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/134

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rive, d’année en année l’exécution de ce projet ; les objets voisins m’attiraient, m’enchaînaient, et ceux qui étaient éloignés perdaient incessamment de leurs charmes, à mesure que j’en avais lu ou entendu faire des relations. Mais enfin, pressé par mon oncle, engagé par des amis qui s’étaient lancés dans le monde avant moi, je pris ma résolution, et même plus vite que nous ne le prévoyions tous.

« Mon oncle, de qui il dépendait surtout de rendre le voyage possible, en fit aussitôt son occupation exclusive. Vous connaissez l’homme et son caractère, et. comme il ne s’occupe jamais que d’une chose à la fois pour la mener à bien, laissant, dans l’intervalle, reposer et dormir tout le reste, ce qui lui a permis d’accomplir beaucoup de choses qui semblent au-dessus des forces d’un simple particulier. Ce voyage le prit, en quelque sorte, à l’improviste. Certaines constructions, qu’il avait résolues et même commencées, furent interrompues, et, comme il refuse toujours, en sage financier, de prendre sur ses épargnes, il eut recours à d’autres moyens. Le premier qui se présentait était de faire rentrer les dettes, et particulièrement les fermages arriérés : car c’était aussi sa manière, d’être indulgent pour les débiteurs, aussi longtemps qu’il pouvait lui-même, jusqu’à un certain point, se passer d’argent. Son homme d’affaires reçut la liste et fut chargé de l’exécution. Nous ne fûmes informés d’aucun détail ; seulement j’appris, en passant, que le fermier d’un de nos domaines, avec lequel mon oncle avait patienté longtemps, allait être entin renvoyé, son cautionnement retenu, comme chétif dédommagement de la perte, et le bien affermé à un autre. Cet homme était du nombre des gens dévots et paisibles, mais il n’était pas, comme ses pareils, actif et prudent ; on l’aimait à cause de sa piété et de sa bonté, mais on le blâmait pour sa mauvaise économie. Après la mort de sa femme, leur fille, que l’on ne connaissait que sous le nom de la Brunette, promettait déjà d’être active et résolue, mais elle était beaucoup trop jeune pour exercer une action décisive : en un mot, les affaires de cet homme allèrent en décadence, sans que l’indulgence de mon oncle y pût remédier.

« J’avais mon voyage en tête, et je devais approuver les moyens de le rendre possible. Tout était prêt ; je faisais mes