Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/138

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jeune fille et, peu s’en faut, jusqu’à son nom. Sa pensée s’offrait à moi plus rarement, et ma fantaisie de correspondre avec les miens, non par lettres mais par signes, contribua beaucoup à me faire presque oublier ma situation précédente, avec toutes ses obligations. Mais à présent que je m’approche de la maison, que je songe à payer,avec usure, à ma famille l’arriéré que je lui dois, à présent, cet étrange repentir (je puis bien l’appeler étrange) me saisit avec toute sa force. La figure de la jeune fille revit dans ma mémoire avec celles de mes parents, et je ne crains rien tant que d’apprendre qu’elle s’est abîmée dans le malheur où je l’ai précipitée ; car, en omettant d’agir, il me semblait avoir agi pour sa perte, avoir avancé son triste sort. Mille fois je me suis dit que ce sentiment n’était au fond qu’une faiblesse, qu’autrefois c’était seulement par crainte du repentir, et non par un sentiment plus généreux, que je m’étais imposé la loi de ne jamais faire de promesse.

« Et maintenant, le repentir que je voulais éviter semble se venger de moi, en s’emparant de ce cas, au lieu de mille, pour me torturer. Avec cela, l’image, l’idée, qui me tourmente, est si pleine de grâce et d’attrait, que je m’y arrête volontiers. Et, lorsque j’y pense, le baiser qu’elle imprima sur ma main semble encore me brûler. »

Lénardo se tut, et Wilhelm se hâta de lui répondre gaiement :

« Je ne pouvais donc vous rendre un plus grand service que par le supplément de mon message, de même que parfois l’objet le plus intéressant de la lettre est renfermé dans le postscriptum. A la vérité, je sais peu de chose sur le compte de Valérine, car je n’ai entendu parler d’elle qu’en passant : mais, ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est la femme d’un riche propriétaire, qu’elle est heureuse, comme votre tante me l’a répété au moment de mon départ.

— Fort bien ! dit Lénardo : maintenant rien ne m’arrête plus. Vous m’avez donné l’absolution : rendons-nous au sein de ma famille, que je fais d’ailleurs attendre plus que de raison. »

Wilhelm répondit :

« J’ai le regret de ne pouvoir vous accompagner : car une obligation singulière me condamne à ne m’arréter nulle part plus de trois jours, et à ne pas reparaître avant une année dans