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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/14

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excité son étonnement, le tableau qui s’offrit alors à sa vue combla sa surprise. Un jeune homme, robuste et vigoureux, de moyenne taille, lestement vêtu, au teint brun, aux cheveux noirs, descendait le sentier du rocher, d’un pas ferme et prudent, menant par la bride un âne, qui montra d’abord sa tête vigoureuse et bien brossée, et laissa voir ensuite le beau fardeau qu’il portait. Une jeune femme, d’une figure aimable et douce, était assise sur une grande selle, bien rembourrée ; sous le manteau bleu qui l’enveloppait, elle abritait un nourrisson, qu’elle pressait contre son sein, et qu’elle contemplait avec une inexprimable tendresse. Il en fut du conducteur comme des enfants : il eut un moment de surprise, à la vue de Wilhelm ; l’animal ralentit sa marche ; mais la pente était trop rapide, les passants ne purent s’arrêter, et Wilhelm, encore saisi de surprise, les vit disparaître derrière la saillie du rocher.

Cette étrange apparition devait naturellement le tirer de sa rêverie. Il se leva avec curiosité, et, de sa place, il regarda, du côté d’en bas, s’il ne verrait point ces personnes reparaître. Il était sur le point de descendre et de saluer ces singuliers voyageurs, quand Félix monta et lui dit :

« Père, ne puis-je accompagner ces enfants chez eux ? Ils veulent m’emmener. Il te faut venir aussi : le monsieur me l’a dit. Viens, ils nous attendent là-bas.

— Je vais leur parler, » répondit Wilhelm.

Il les trouva à une place où le sentier était moins rapide, et ses yeux purent se repaître de ces merveilleuses figures, qui avaient si fort captivé son attention. Ce fut alors seulement qu’il put remarquer divers détails. Le jeune homme avait, sur ses robustes épaules, une hache et une longue équerre de fer flexible. Les enfants portaient de grands paquets de roseaux, qui avaient l’apparence de palmes, et si, de ce côté, ils ressemblaient aux anges, de l’autre, chargés, comme ils l’étaient aussi, de petits paniers pleins de provisions, ils ressemblaient aux messagers qui passent et repassent journellement la montagne. En observant la mère de plus près, Wilhelm vit qu’elle portait, sous le manteau bleu, une robe d’un rose délicat, en sorte que notre ami trouvait là réellement devant ses yeux la fuite en Égypte, qu’il avait vue tant de fois en tableau.