Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/180

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tes drapeaux, puisque, à ton avis, il n’est pas trop tard pour regagner, en quelque mesure, le temps perdu. Fais-moi part de tes teintures, de tes baumes et de tes pommades, et je ferai un essai.

— Faire part de ces choses est plus difficile qu’on ne pense ; car, par exemple, il ne s’agit pas seulement de te verser quelques gouttes de mon flacon et de te laisser la moitié de mes ingrédients de toilette : c’est l’emploi qui est la grande difficulté. On ne saurait s’approprier d’abord ces marchandises ; mais, de savoir comment celle-ci ou celle-là convient, dans quelles cir«onstances, dans quel ordre, il faut employer les cosmétiques, voilà ce qui exige de l’expérience et de la réflexion ; et cela même ne sert de guère, si l’on n’a pas pour la chose dont il s’agit un talent naturel.

— Tu veux reculer, à ce qu’il me semble, reprit le major. Tu m’opposes des difficultés, pour mettre à couvert tes assertions, probablement quelque peu fabuleuses ; tu n’as pas envie de me fournir une occasion de mettre tes discours à l’épreuve.

— Mon ami, répliqua l’artiste, tes agaceries ne me décideraient pas à satisfaire ton désir, si je n’étais pas moi-même, à ton égard, dans les bonnes dispositions que je t’ai d’abord montrées. Considère d’ailleurs, cher ami, que l’homme trouve un plaisir tout particulier à faire des prosélytes, à reproduire chez les autres ce qu’il estime chez lui, à les faire jouir des choses dont il jouit lui-même, à se retrouver, à se refléter en eux. En vérité, si c’est encore de l’égoïsme, il est bien digne d’amour et de louange, le sentiment qui a fait de nous des hommes, et qui nous maintient ce beau caractère. Abstraction faite de l’amitié que j’ai pour toi, c’est de lui que me vient mon désir de te prendre pour élève dans l’art du rajeunissement. Mais, comme on peut s’attendre à ce qu’un maître ne veuille pas former des bousilleurs, je suis embarrassé de savoir comment nous devons nous y prendre. Je l’ai dit, ni les essences ni les recettes ne sont suffisantes : on ne peut en prescrire l’emploi d’une manière générale. Par amitié pour toi, et dans le désir de propager ma science, je suis prêt à tous les sacrifices. Je veux t’oiïrir à l’instant même le plus grand que je puisse faire ; je te laisserai mon domestique, une sorte de valet de chambre et d’homme