Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nombreux alentours, autant d’amis, autant d’adorateurs ; mais, si je ne m’abuse, son cœur est à moi. »

Comme le père se taisait, et ne donnait aucun signe de désapprobation, le fils continua d’exposer, avec effusion, la conduite de la belle veuve à son égard, d’exalter en détail ces grâces irrésistibles, ces tendres marques de faveur, dans lesquelles le père put reconnaître, à la vérité, les légères prévenances d’une femme, objet de l’attention générale, qui préfère peutêtre quelqu’un dans la foule, mais sans se déclarer absolument pour lui. Dans d’autres circonstances, il aurait certainement engagé un fils, et même un ami, à se tenir en garde contre l’illusion qu’il se faisait selon toute apparence ; mais, cette fois, il était si intéressé à ce que son fils ne s’abusât point, à ce que la veuve pût l’aimer réellement et se décider le plus tôt possible en sa faveur, qu’il ne conçut aucune défiance, ou qu’il repoussa le doute, ou peut-être aussi le dissimula.

« Tu me jettes dans un grand embarras, dit le père, après un moment de silence. Tout l’arrangement conclu entre les membres qui restent de notre famille est établi sur la supposition que tu épouseras Hilarie ; si elle se marie avec un étranger, cette réunion complète, ingénieuse et belle de .toutes les parties d’un patrimoine considérable est de nouveau abolie, et toi surtout, tu n’es pas fort bien partagé. Il y aurait bien encore un moyen, mais qui paraîtrait un peu singulier, et auquel tu ne gagnerais pas beaucoup : je pourrais, malgré mon âge avancé, épouser Hilarie ; mais ce ne serait yas, je pense, te faire un grand plaisir.

— Le plus grand du monde ! s’écria le lieutenant ; en effet, qui peut éprouver une véritable inclination, qui peut goûter ou espérer le bonheur de l’amour, sans souhaiter ce bonheur suprême à chacun de ses amis, à chacun de ceux qui lui sont chers ? Vous n’êtes point âgé, mon père ; et combien Hilarie n’est-elle pas aimable ! L’idée même qui vous vient tout à coup de lui of. frir votre main prouve que vous avez le cœur jeune, que vous avez l’ardeur du bel âge. Considérons et pesons mûrement cette idée, ce projet soudain. C’est alors seulement, c’est quand je vous saurais heureux, que je le serais véritablement ; c’est alors que je jouirais de vous voir vous-même si bien, si digne-