Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/240

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qui était désiré, ce qui était nécessaire, et toujours de manière à étonner le maître.

Pendant ce temps, la belle veuve se promenait avec Wilhelm sous les cyprès et les pins ou sur les terrasses, le long des treilles de vigne et d’oranger, et elle finit par céder au vœu délicatement exprimé par son nouvel ami ; elle lui fit connaître quel étrange concours d’événements avait séparé les deux amies de leurs anciennes relations, les avait intimement unies et jetées en pays étranger.

Wilhelm, qui ne manquait pas du talent de tout recueillir exactement, écrivit plus tard ce récit confidentiel, et nous avons dessein de le communiquer un jour à nos lecteurs, tel que Nathalie le reçut par l’entremise d’Hersilie.

Le dernier soir était arrivé, et l’éclat magnifique de la pleine lune ne permettait pas de sentir le passage du jour à la nuit. La société s’était réunie sur une des plus hautes terrasses, pour contempler le lac tranquille, éclairé de toutes parts et reflétant la clarté. Sa longueur finissait par échapper au regard, mais, dans sa largeur, on le voyait resplendir tout entier.

Quoi que l’on pût avoir à se dire en de pareils moments, on ne devait pas manquer de reconnaître, comme on l’a fait mille fois, les avantages de ce ciel, de ces eaux, de cette terre, sous l’influence de leur soleil puissant, de leur lune plus douce ; d’en faire Tin éloge exclusif et enthousiaste.

Mais, ce qu’on ne se disait pas, ce qu’on s’avouait à peine à soi-même, c’était le sentiment douloureux et profond qui agitait tous les cœurs, avec plus ou moins de foYce, mais avec la même sincérité et la même tendresse. Le pressentiment de la séparation planait sur ce cercle d’amis ; il s’ensuivit peu à peu un silence, qui devint presque de l’angoisse.

Alors le chanteur prit sa résolution, préludant sur son luth avec vigueur, sans se souvenir des ménagements qu’il avait su garder jusqu’alors. L’image de Mignon s’offrit à sa pensée, avec le premier chant de tendresse de l’aimable enfant. Entraîné par la passion au delà des bornes, animant de sa main frémissante les cordes harmonieuses, il chanta :

« Connais-tu la contrée où les citronniers fleurissent ?… »

Hilarie se leva, saisie d’une émotion profonde, et s’éloigna,