A ces mots Lénardo vida son verre et s’assit : les quatre chanteurs, s’étant levés aussitôt, firent entendre des accents inspirés par le discours du chef et qui s’y rattachaient.
« Ne reste pas fixé sur le sol : courage ! ose partir ! Qui a le liras et la téte, avec une joyeuse vigueur, est partout chez lui. Que pour nous le soleil brille, nous n’avons plus de souci. C’est pour que les hommes se dispersent sur elle, que la terre est si grande ! »
Pendant que le chœur répétait ces vers, Lénardo se leva, et tous les assistants avec lui. Au signal qu’il donna, tous les convives défilèrent en chantant : ceux du bas de la table, SaintChristophe en tête, sortirent deux à deux de la salle. Le chant du voyageur était répété d’une voix toujours plus libre et plus gaie ; mais il réussit particulièrement bien, quand la société, réunie dans les jardins en terrasse qui décoraient le château, contempla la spacieuse vallée, si riche, si agréable, où l’on se serait perdu volontiers. Tandis que la foule se dispersait à plaisir de toutes parts, on présenta Wilhelm au troisième chef. C’était le bailli, qui avait eu l’idée d’abandonner à l’Union, pour tout le temps qu’elle voudrait l’occuper, le noble manoir, situé au milieu de plusieurs seigneuries, et de procurer à cette société divers avantages, mais qui avait su en échange mettre à protit, en homme habile, la présence de locataires si singuliers. En effet, ’en même temps qu’il livrait ses denrées à bon marché, et procurait tout ce qui était nécessaire pour la nourriture et l’entretien, il saisit cette occasion pour remettre à neuf les toitures longtemps négligées, réparer les combles, reprendre les murs en sous-œuvre, reconstruire les planchers et relever d’autres ruines, au point que la propriété négligée, dégradée, d’une familleen décadence, prit l’aspect d’une demeure vivante, habitée, et fournit la preuve que la vie donne la vie, et que celui qui est utile aux autres les met dans la nécessité de lui être utiles à leur tour.