Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/33

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CHAPITRE III.

Wilhelm à Nathalie.


« Je viens de terminer une agréable histoire, demi-merveilleuse, que j’ai écrite pour toi, après l’avoir recueillie de la bouche d’un brave homme. Si je n’ai pas reproduit toujours ses propres termes, si j’ai exprimé çà et là mes sentiments, à l’occasion des siens, c’était fort naturel, car je me sentais avec lui un lien de parenté. Ce respect pour sa femme ne ressemble-t-il pas à celui que j’éprouve pour toi ? Et la rencontre même de ces deux amants n’a-t-elle pas quelque chose de semblable à la nôtre ? S’il est assez heureux pour cheminer à côté de la monture qui porte le double fardeau dont ses yeux sont charmés ; si, le soir, il peut rentrer avec toute sa famille dans le vieux monastère ; si rien ne saurait le séparer de sa bien-aimée et de ses enfants : c’est ce que j’ose bien lui envier secrètement ; mais je n’ose pas même me plaindre de mon sort, parce que je t’ai promis de souffrir et de me taire, comme tu l’as toi-même entrepris.

« Je dois passer sous silence maints détails charmants de la vie de cette heureuse et sainte famille : en effet, comment tout écrire ? J’ai passé deux jours agréables, mais le troisième m’avertit qu’il est temps de poursuivre mon chemin.

« Aujourd’hui nous avons eu, Félix et moi, un petit démêlé. Il voulait, peu s’en faut, me forcer de violer une de mes bonnes résolutions, que je t’ai promis d’observer. Est-ce ma faute, est-ce un malheur ou une fatalité ? mais, avant que j’y prenne garde, ma société s’augmente ; je m’impose une charge nouvelle, qu’il me faut ensuite porter et traîner après moi. Je ne veux pas d’un