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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/336

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breuse société, mon mécontentement éclata, et j’en éprouvai les plus fùcheux effets.

Je ne puis me dissimuler qu’après cette fâcheuse découverte, j’aimais beaucoup moins ma belle, et j’en étais devenu jaloux, ce qui ne m’était pas venu à l’esprit auparavant. Un soir, à table, que nous étions assez éloignés, elle d’un côté, moi de l’autre, je me trouvais fort bien entre mes deux voisines, qui, depuis quelque temps, me semblaient charmantes. Au milieu des badinages et des propos galants, on ne ménageait pas le vin, tandis que, de l’autre côté, deux amateurs de musique s’étaient emparés de ma femme, et savaient encourager et entraîner l’assemblée à chanter soit des solos, soit des chœurs. Cela me mit de mauvaise humeur. Les deux amateurs semblaient pressants ; le chant m’agaçait les nerfs, et, lorqu’on en vint même à me demander de chanter aussi un couplet, j’entrai dans une véritable colère, je vidai mon verre et le posai sur la table très-rudement.

Je me sentis, il est vrai, apaisé soudain par les grâces de mes voisines ; mais c’est une chose fatale que la colère, lorsqu’une fois elle est en chemin. Elle couvait secrètement, quand tout aurait dû me disposer à la joie, à l’indulgence. Au contraire, je devins encore plus morose, lorsqu’on apporta un luth, et que ma belle en accompagna son chant, aux applaudissements de tous les convives. Par malheur, on demanda un silence général : je ne pouvais donc plus babiller, et les sons du luth me faisaient grincer les dents. Était-ce merveille, que la moindre étincelle finît par mettre le feu à la mine ?

La belle venait d’achever un chant vivement applaudi, lorsqu’elle tourna les yeux de mon côté, et, je dois le dire, d’un air plein de tendresse. Mais, hélas ! ses regards firent sur moi peu d’impression. Elle remarqua que je vidais mon verre et le remplissais de nouveau. Elle me fit signe de l’index, en m’adressant une menace amicale.

« Songez que c’est du vin, dit-elle, tout juste assez haut pour que je pusse l’entendre.

— L’eau est pour les ondines ! m’écriai-je.

— Mesdames, dit-elle à mes voisines, couronnez la coupe de toutes vos grâces, afin qu’elle ne se vide pas trop souvent.