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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/351

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— Je n’ai point de temps à perdre, » dis-je aussitôt, et je descendis l’escalier.

Au premier coup d’œil, j’avais observé que l’étranger avait la barbe longue, et je soupçonnai qu’aucun de ses gens ne savait raser. Je rencontrai le garçon d’auberge, et je m’informai de lui si le monsieur n’avait point demandé un barbier.

« Sans doute, répondit-il, et il en a grand besoin. Son valet de chambre est resté en arrière depuis deux jours ; le monsieur veut absolument être délivré de sa barbe, et notre unique barbier est allé, je ne sais où, dans les environs.

— Eh bien ! annoncez-moi, présentez-moi comme barbier à l’étranger : je vous ferai honneur. »

Je pris les instruments à barbe que je trouvai dans la maison, et je suivis le garçon. Le vieux monsieur me reçut avec beaucoup de gravité, me regarda des pieds à la tête, comme s’il avait voulu juger de mon talent sur ma physionomie.

« Savez-vous bien votre métier ? me dit-il.

— Sans me vanter, répliquai-je, je n’ai pas encore trouvé mon pareil. »

J’étais d’ailleurs sûr de mon fait, car j’avais exercé dans ma première jeunesse cette noble profession, et j’étais surtout renommé, parce que je rasais de la main gauche.

La chambre dans laquelle l’étranger faisait sa toilette donnait sur la cour, et se trouvait placée de telle sorte, que nos amis pouvaient voir aisément ce qui s’y passait, surtout si les croisées étaient ouvertes. Il ne manquait plus rien à mes préparatifs ; le monsieur s’était assis, la serviette attachée au cou : je m’avançai très-humblement et lui dis :

« Monseigneur, une expérience particulière, que j’ai faite dans l’exercice de mon art, c’est que je rase mieux et plus à mon gré les gens du commun que les personnes de qualité. Je m’en suis longtemps demandé la cause, et l’ai cherchée tantôt ici, tantôt là ; enfin j’ai trouvé que je réussissais beaucoup mieux au grand air que dans les chambres fermées. Si Votre Excellence veut permettre que j’ouvre les fenêtres, elle en éprouvera bientôt l’effet à sa propre satisfaction. »

Il y consentit ; j’ouvris la fenêtre, je fis un signe à mes amis, et je commençai à savonner cette forte barbe avec beaucoup de