grâce. Avec non moins de prestesse et de légèreté, je fauchai la prairie, et je ne manquai pas, lorsque j’en vins à la lèvre supérieure, de prendre ma noble pratique par le nez et de le courber à droite et à gauche, en me plaçant de telle sorte, que les parieurs durent reconnaître et convenir, à leur grande satisfaction, qu’ils avaient perdu la gageure.
Le vieux monsieur s’avança vers le miroir avec dignité ; on voyait qu’il se regardait avec quelque complaisance, et c’était en effet un très-bel homme. Puis il se tourna de mon côté, fixant sur moi ses yeux noirs, étincelants, mais gracieux, et il me dit :
« Vous méritez plus d’éloges que la plupart de vos confrères, car je remarque chez vous beaucoup moins de mauvaises habitudes : vous ne passez pas deux fois et trois fois sur la même place ; c’est fait du premier coup ; vous ne frottez pas non plus, comme plusieurs, votre rasoir sur la paume de la main, et vous ne promenez pas sous le nez de la personne les débris de la barbe. L’adresse de votre main gauche est surtout admirable. Voici pour votre peine, poursuivit-il en me donnant un florin. Rappelez-vous seulement une chose, c’est qu’on ne prend pas les gens de qualité par le nez. Si vous évitez, par la suite, cette habitude rustique, vous ferez votre chemin dans le monde. »
Je lis une profonde révérence ; je promis tout ce qu’il voulut, le priant, s’il venait à repasser, de vouloir bien m’honorer encore de sa confiance, et je courus vers nos jeunes camarades, qui avaient fini par me donner assez d’inquiétude, car ils poussaient de tels cris et de tels éclats de rire, sautant comme des fous, applaudissant et appelant, éveillant les endormis, et racontant l’aventure, avec de nouveaux rires et un nouveau tapage, qu’en arrivant dans la chambre, je commençai par fermer les fenêtres, et conjurai, au nom du ciel, ces étourdis de rester tranquilles ; mais enfin il me fallut rire avec les autre ?, à l’idée d’une action si folle, que j’avais accomplie avec tant de gravité.
A la fin, la tempête du rire un peu apaisée, je me félicitais de mon bonheur ; j’avais dans ma poche les pièces d’or, et de plus le florin bien mérité ; je me trouvais la bourse bien garnie, ce qui me venait d’autant plus à propos, que la société avait résolu de se séparer le lendemain. Mais nous n’étions pas destinés à nous quitter avec ordre et bienséance. L’histoire était trop plai-