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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/37

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Félix ne se lassait pas de faire des questions, et Jarno était assez complaisant pour n’en laisser aucune sans réponse ; mais Wilhelm crut reconnaître que l’instituteur n’était pas absolument véridique et sincère. Tandis que les enfants grimpaient en avant, avec impatience, Wilhelm dit à son ami :

« Tu n’as pas parlé de cette chose à l’enfant comme tu t’en parles à toi-même.

— C’est trop exiger, répondit Jarno. On ne se dit pas toujours à soi-même ce qu’on pense, et c’est un devoir de ne dire aux autres que ce qu’ils peuvent recevoir. L’homme ne comprend point ce qui n’est pas à sa mesure. Ce qu’on peut faire de mieux est de fixer les enfants au présent, de leur fournir un nom, une désignation : ils demanderont assez tôt les causes.

— On ne peut leur en faire un reproche, dit Wilhelm : la variété des objets confond l’esprit, et, au lieu de les débrouiller, il est plus commode de demander d’abord : « D’où vient cela ? où cela va-t-il ? »

— Et cependant, reprit Jarno, comme les enfants ne voient que la surface des choses, on ne peut leur parler que superficiellement du développement et de la fin des êtres.

— La plupart des hommes, répondit Wilhelm, en restent là toute leur vie, et n’arrivent pas à cette phase sublime, où ce qui est saisissable nous paraît sot et vulgaire.

— On peut la nommer sublime, cette phase qui tient le milieu entre l’apothéose et le désespoir.

— Revenons à l’enfant qui est aujourd’hui mon premier intérêt. Depuis que nous sommes en voyage, il a pris le goût des minéraux. Ne pourrais-tu m’en apprendre assez pour le satisfaire au moins quelque temps ?

— Impossible, dit Jarno : dans chaque nouvel ordre de choses, il faut commencer par redevenir enfant, se passionner pour l’objet, et prendre d’abord plaisir à l’écorce, en attendant de parvenir jusqu’au fruit.

— Daigne au moins me dire comment tu es parvenu à ces hautes connaissances, car il n’y a pas si longtemps que nous sommes séparés.

— Mon ami, on nous a imposé une résignation, sinon éternelle, du moins de longue durée : dans de pareilles circon-