Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/443

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LE GOUVERNEUR.

Vous êtes rarement injuste, et je ne vous ai jamais vue encore dominée par l’humeur et la passion comme en ce moment.

LA BARONNE.

Du moins cette passion n’a pas de quoi me taire rougir. Quand je me figure mon amie dans sa voiture de voyage, par de mauvais chemins, pleurant sur l’hospitalité violée, je pourrais vous maudire tous de bon cœur.

LE GOUVERNEUR.

Je ne vous ai pas vue, dans les plus grands maux, aussi émue, aussi courroucée.

LA BARONNE.

Un petit mal, à la suite des grands, comble la mesure ; et puis, ce n’est pas un petit mal, d’être privée d’une amie.

LE GOUVERNEUR.

Calmez-vous, madame ; ayez assez de confiance en nous pour croire que nous voulons nous corriger, que nous voulons faire notre possible pour vous contenter.

LA BARONNE.

Non, aucun de vous ne surprendra ma confiance ; mais, à l’avenir, j’exigerai de vous ce qui m’est dû, je commanderai dans ma maison.

— Kxigez, commandez, s’écria Charles ; vous n’aurez pas à vous plaindre de notre désobéissance.

— Ma sévérité ne sera pas si fâcheuse, reprit avec un sourire la baronne en se surmontant : je n’aime guère à commander, surtout à des esprits si indépendants ; je donnerai seulement un conseil et j’y ajouterai une prière.

LE GOUVERNEUR.

Et l’un et l’autre seront pour nous une loi inviolable.

LA BARONNE.

Ce serait, de ma part, une folie, si je prétendais écarter l’intérêt que chacun prend aux grands événements dont nous-mêmes avons été déjà les malheureuses victimes. Je ne puis changer les sentiments qui se développent dans le cœur de chacun selon sa manière de voir, qui se fortifient, travaillent, agissent, et il serait aussi cruel qu’insensé d’exiger que l’on s’abstint