CHARLES.
Pardonnez-moi, chère tante ! Je sens ma faute assez vivement : ne m’en faites pas voir si clairement les conséquences.
LA BARONNE.
Il faut, au contraire, que tu les voies aussi clairement que possible. Il ne peut être ici question de ménagements ; il s’agit uniquement de savoir si tu pourras être convaincu de tes torts, car ce n’est pas la première fois que tu commets cette faute, et ce ne sera pas la dernière. 0 hommes, la nécessité qui vous resserre sous le même toit, dans une étroite cabane, ne saura-t-elle vous rendre tolérants les uns pour les autres ? N’est-ce pas assez des calamités inévitables qui fondent sur vous et vos familles ? Nepouvez-vousdonc travailler sur vous-mêmes, et vous conduire modérément et raisonnablement avec ceux qui, dans le fond, ne veulent rien vous ôter, rien vous ravir ? Faut-il que vos cœurs agissent et se déchaînent aveuglément et sans frein, comme les événements, comme un orage ou tout autre phénomène de la nature ? »
Charles ne répondait rien, et le gouverneur, quittant la fenêtre, où il s’était tenu jusqu’alors, s’approcha de la baronne en disant :
« Il se corrigera ; cet incident lui servira, nous servira de leçon à tous ; nous saurons nous éprouver chaque jour, nous représenter la douleur que vous avez sentie ; nous montrerons aussi que nous avons de l’empire sur nous-mêmes.
LA BARONNE.
Que les hommes se flattent aisément, et surtout en ce point ! La domination est pour eux un mot si agréable, et cela sonne si bien de se dominer soi-même ! Ils en parlent trop volontiers, et voudraient nous faire croire qu’ils y songent sérieusement dans la pratique. Si du moins j’avais vu, de ma vie, un seul homme capable de se maîtriser dans la moindre chose ! S’il en est une qui leur soit indifférente, d’ordinaire ils affectent gravement d’en sentir la privation avec peine, et, ce qu’ils désirent passionnément, ils savent le représenter à eux-mêmes et aux autres comme excellent, nécessaire, inévitable et indispensable. Je n’en sache aucun qui soit capable du moindre renoncement.