Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/52

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l’impatience et la violence ne nous tireront pas de cette position. Ce mystère s’éclaircira, mais, ou je me trompe fort, ou nous ne sommes pas tombés dans de mauvaises mains. Lis ces inscriptions :

Liberté et réparation pour l’innocent ; pitié pour l’homme séduit ; justice sévère pour le coupable.

« Tout cela nous montre que ces dispositions sont l’œuvre de la nécessité et non de la cruauté. L’homme n’a que trop de raisons pour se garantir de l’homme. Les malveillants sont nombreux ; les malfaiteurs ne sont pas rares, et, pour vivre tranquillement, il ne suffit pas toujours de bien faire. »

Félix avait repris du sang-froid, mais il se jeta sur un lit, sans faire d’autre démonstration et sans répondre. Le père poursuivit en ces termes :

« N’oublie jamais cette expérience que tu fais, si jeune et si innocemment, et qu’elle te soit un vif témoignage de la haute civilisation du siècle où tu as vu le jour. Quel chemin l’humanité n’a-t-elle pas du faire, avant d’arriver à être clémente envers les coupables, modérée envers les criminels, humaine envers les inhumains ! Assurément c’étaient des hommes d’une nature divine, ceux qui donnèrent les premiers ces leçons, qui consacrèrent leur vie à en rendre la pratique possible et à l’accélérer. Les hommes sont rarement capables du beau ; ils le sont plus souvent du bon, et quelle vénération ne devons-nous pas à ceux qui cherchent à l’avancer par de grands sacrifices ? »

Ces sages et consolantes paroles, qui exprimaient parfaitement l’intention des geôliers, Félix ne les avait pas entendues : il était plongé dans un profond sommeil, plus frais et plus beau que jamais ; car une passion, telle qu’il n’en avait guère éprouvé, avait manifesté sur ses joues pleines tous les mouvements de son âme. Son père l’observait avec complaisance, quand il vit paraître un jeune homme de belle taille, qui, après avoir considéré un moment l’étranger d’un air affectueux, lui demanda quelles circonstances l’avaient amené par cette route extraordinaire et dans ce piége. Wilhelm lui raconta son aventure tout uniment, lui présenta quelques papiers de nature à le faire connaître, et s’appuya du guide, qui devait arriver bientôt par la route ordinaire.