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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/57

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Revanne se leva de sa place, sans y songer, et regarda du côté de la route, croyant voir arriver les gens de cette dame, qu’il supposait restés en arrière. Puis l’inconnue attira de nouveau son attention en le saluant avec noblesse, et il lui rendit respectueusement son salut. Sans dire un mot, la belle voyageuse s’assit au bord de la source, en poussant un soupir.

« Effet bizarre de la sympathie ! s’écria M. de Revanne, lorsqu’il me raconta cette histoire : je répondis du cœur à ce soupir. Je restais immobile, sans savoir ce que je devais dire ou faire : je ne pouvais assez contempler ces perfections. Couchée comme elle l’était sur le gazon, appuyée sur le coude, elle me parut la plus belle figure de femme qu’on pût imaginer. Ses souliers attirèrent mon attention : tout couverts de poussière, ils annonçaient qu’elle avait fait une longue course à pied ; et cependant ses bas de soie étaient si brillants, qu’ils semblaient sortir du lissoir ; sa robe, relevée avec soin’, n’était point froissée ; ses cheveux semblaient avoir été frisés tout à l’heure ; de fin linge, de fines dentelles ; elle était parée comme pour le bal ; rien chez elle n’annonçait une vagabonde, et pourtant elle n’était pas autre chose, mais une vagabonde digne de pitié, digne de respect.

  • Enfin quelques regards, qu’elle jeta sur moi, m’encouragèrent à lui demander si elle voyageait seule. . « Oui, monsieur, dit-elle, je suis seule au monde. « — Eh quoi, madame, vous seriez sans parents, sans connaissances ?

« — Ce n’est pas précisément ce que je voulais dire, mon« sieur. J’ai assez de parents et de connaissances, mais je n’ai ’ « point d’amis.

« — Il est impossible que ce soit votre faute : vous avez une « figure, et sans doute aussi un cœur, auxquels on peut beau« coup pardonner. »

« Elle sentit l’espèce de reproche que mon compliment dissimulait, et je conçus une idée favorable de son éducation. Elle fixa sur moi ses yeux célestes, limpides, brillant du plus parfait azur ; puis elle me dit avec noblesse qu’elle ne pouvait trouver mauvais qu’un homme d’honneur, tel que je semblais être, conçût quelques soupçons contre une jeune fille qu’il trouvait