Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/58

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seule sur le grand chemin ; déjà plus d’une fois elle avait éprouvé ce désagrément ; mais, quoiqu’elle fût étrangère, quoique personne n’eût le droit de l’interroger, elle me priait de croire que le but de son voyage pouvait s’accorder avec la plus scrupuleuse bienséance. Des raisons dont elle ne devait compte à personne l’obligeaient à promener sa douleur de lieux en lieux. Elle avait reconnu que les dangers qu’on redoute pour son sexe étaient purement imaginaires, et que, même au milieu d’une troupe de brigands, l’honneur d’une femme ne court de péril que par la faiblesse de son cœur et de ses principes. Au reste elle ne voyageait qu’à des heures et par des chemins où elle se croyait en sûreté ; elle ne parlait pas avec le premier venu, et s’arrêtait quelquefois en des lieux convenables, où elle pouvait subvenir à son entretien par des services du genre de ceux auxquels on l’avait formée. A ces mots, sa voix tomba, ses yeux se baissèrent et je vis quelques larmes couler sur ses joues.

« Je ne doutais nullement, lui répondis-je, que sa naissance ne fût honnête et sa conduite digne de respect. Je la plaignais seulement d’être obligée de servir, elle qui paraissait si digne de trouver des serviteurs ; quelque vive que fût ma curiosité, je ne la presserais pas davantage ; je désirais plutôt, en faisant plus ample connaissance avec elle, me convaincre qu’elle était partout aussi attentive à sa réputation qu’à sa vertu.

« Ces mots parurent la blesser de nouveau, car elle répondit qu’elle cachait justement son nom et sa patrie par égard pour la renommée, qui toutefois, le plus souvent, se composait moins de réalités que de conjectures. Quand elle demandait de l’emploi, elle produisait des témoignages des dernières maisons où elle avait servi, et ne cachait point qu’elle ne voulait pas être interrogée sur sa patrie et sa famille. Là-dessus on pouvait se ’décider et s’en remettre au ciel et à sa parole, sur l’innocence de toute sa vie et son honnêteté. »

Ces discours ne faisaient soupçonner chez la belle aventurière aucun égarement d’esprit. M. de Revanne, qui ne pouvait bien comprendre cette résolution de courir le monde, en vint à soupçonner qu’on avait peut-être voulu la marier contre son inclination. En conséquence il se demanda si sa conduite n’était point