Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/579

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gers, et devaient inspirer à la foule paisible l’irrésistible désir de les voir. Le tigre, furieux et terrible, s’élançait sur un More et semblait prêt à le déchirer ; un lion était couché, d’un air grave et majestueux, comme ne voyant devant ses yeux aucune proie digne de lui ; auprès de ces deux monstres, d’autres bêtes, diverses et singulières, méritaient peu d’attention.

« À notre retour, dit la princesse, nous mettrons pied à terre et nous irons voir ces hôtes curieux.

— C’est une chose étrange, dit le prince, que l’homme demande toujours des émotions aux spectacles horribles. Le tigre est couché là dedans tranquille dans sa cage, et il faut qu’il se jette ici avec fureur sur un More, afin que l’on imagine de voir là dedans la même chose. Nous n’avons pas assez de meurtres et de carnage, d’incendies et de ruines ; il faut que les chanteurs de foire les répètent à tous les coins de rue. Les bonnes gens veulent être effrayés, afin de sentir après combien il est agréable et doux de respirer librement. »

Mais toutes les impressions pénibles que ces affreuses images pouvaient avoir laissées s’effacèrent aussitôt que, parvenus à la porte de la ville, les cavaliers s’avancèrent dans les plus riantes campagnes. La route longeait d’abord la rivière, étroite encore, il est vrai, et ne portant que de légers bateaux, mais qui, sans perdre son nom, devait, par degrés, devenir un grand fleuve et vivifier des pays lointains. Ensuite on s’élevait insensiblement, en traversant des vergers et des jardins de plaisance, et l’on se voyait, de proche en proche, dans un pays ouvert et peuplé ; enfin des bouquets d’arbres, puis un petit bois, s’ouvrirent pour la cavalcade, et les détails les plus pittoresques bornèrent et réjouirent ses regards ; puis elle fut gracieusement accueillie par un vallon gazonné, qui s’élevait en pente et qui, fauché récemment pour la seconde fois, semblait un tapis de velours, arrosé par une source vive, jaillissant à grands flots dans la partie supérieure. Ils gagnèrent ainsi une halte plus élevée et plus découverte, qu’ils atteignirent en s’éloignant de la forêt, et gravissant rapidement la pente. Alors ils virent, à une distance considérable encore, par-dessus de nouveaux massifs, le vieux château, le terme de leur pèlerinage, s’élever comme une cime rocheuse et bocagère. Derrière eux (car on n’arrivait jamais à