Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/590

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

juste pourrait-il craindre ? Le lion et la lionne viennent de part et d’autre se courber autour de lui ; les chants pieux et doux les ont charmés. »

Le père continuait d’accompagner la strophe avec la flûte ; la mère faisait par moments la seconde voix.

Et ce qui fit surtout une vive impression, c’est que l’enfant entremêla dans un ordre différent les vers de la strophe, et, par là, produisit, sinon un sens nouveau, du moins un sentiment d’une vivacité nouvelle :

« Les anges montent vers le ciel, descendent vers la terre, et leurs voix nous fortifient. Quels accents célestes ! Dans la fosse, dans le tombeau, l’enfant craindrait-il ? Ces chants pieux et doux ne laissent pas approcher le malheur. Les anges balancent leurs ailes, et déjà la chose est faite. »

Puis ils chantèrent tous trois avec force et exaltation :

« Car l’Éternel règne sur la terre ; son regard règne sur les mers ; les lions deviennent des agneaux et le flot roule en arrière ; l’épée nue s’arrête au moment de frapper ; la foi et l’espérance sont comblées ; il accomplit des miracles, l’amour qui s’enveloppe dans la prière. »

Tout le monde faisait silence, prêtait l’oreille, écoutait, et ce fut seulement quand ces chants eurent cessé, que l’on put remarquer et observer l’impression qu’ils avaient faite. Tout le monde était comme apaisé ; chacun était touché à sa manière. Le prince, comme s’il eût considéré pour la première fois le malheur qui venait de le menacer, le front baissé, regardait son épouse, qui, s’appuyant sur lui et cédant à son émotion, prit son mouchoir artistement brodé, et s’en couvrit les yeux, heureuse de sentir son jeune sein soulagé du poids qui l’avait oppressé quelques minutes auparavant. Il régnait dans la foule un parfait silence ; on semblait avoir oublié les dangers, là-bas l’incendie, et là-haut le réveil d’un lion endormi dans un repos suspect.

Le signal que donna le prince d’amener les chevaux remit la troupe en mouvement ; puis il se tourna vers la femme et lui dit :

« Vous croyez donc, en quelque lieu que vous trouviez le lion échappé, pouvoir l’apaiser par vos chants, par les chants de ce petit garçon, avec le secours de cette flûte, et le ramener ensuite dans sa cage, sans qu’il ait fait ni souffert aucun mal ?