Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/67

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fille, que j’emmènerai bien loin, bien loin des hommes, des méchants, des fous et des infidèles. » Puis, soulageant son cœur :

« Adieu ! lui dit-elle : adieu, mon cher Revanne ! La nature vous adonné un cœur honnête : conservez vos principes de franchise ; ils ne sont pas dangereux, avec une fortune solide. Soyez bon envers les pauvres. Celui qui dédaigne la prière de l’innocence affligée sera réduit un jour à prier lui-même et ne sera pas écouté. Celui qui ne se fait pas scrupule de mépriser les scrupules d’une fille sans défense sera la victime de femmes sans scrupules. Celui qui ne sent pas ce que doit éprouver une honnête fille, quand on aspire à sa main, ne mérite pas de l’obtenir. Celui qui forge des projets contraires à la raison, contraires aux vues, aux plans de sa famille, pour satisfaire ses passions, ne mérite ni les fruits de sa passion ni l’estime de sa famille. Je crois bien que vous m’avez sincèrement aimée ; mais, mon cher Revanne, le chat sait bien à qui il lèche la barbe. Si vous êtes jamais l’amant d’une femme estimable, rappelez-vous le moulin de l’infidèle. Apprenez par mon exemple à vous reposer sur la constance et la discrétion de votre amante. Vous savez si je suis infidèle : votre père le sait aussi. J’ai résolu de parcourir le monde et de m’exposer à tous les dangers : assurément, les plus grands sont ceux qui me menacent dans- cette maison. Mais, comme vous êtes jeune, je vous dirai à vous seul et en confidence : les hommes et les femmes ne sont infidèles que lorsqu’ils le veulent bien, et c’est ce que j’ai voulu prouver à l’ami du moulin, qui me reverra peut-être, si son cœur est assez pur un jour pour regretter ce qu’il a perdu. »

Le jeune Revanne écoutait encore, qu’elle avait déjà cessé de parler. Il était comme frappé de la foudre ; enfin les larmes se firent passage, et, dans ce trouble, il courut chez sa tante, chez son père :

« Mademoiselle s’en va ! Mademoiselle est un ange, ou plutôt un démon, qui parcourt le monde pour torturer tous les cœurs ! »

Mais la voyageuse avait si bien pris ses mesures, qu’on ne put la retrouver. Quand le père et le fils se furent expliqués, on ne douta plus de son innocence, de son esprit, de sa folie.