Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/86

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tant de siècles, développée, répandue, gênée, opprimée, jamais entièrement détruite, se ranimant, reprenant une vie nouvelle, et se manifestant, comme autrefois, sous mille et mille formes, lui donna de tout autres idées du point où l’humanité peut parvenir. 11 aima mieux prendre part à ces immenses avantages, et se perdre dans le mouvement vaste et régulier de la foule, en travaillant avec elle, que de reculer de plusieurs siècles et de jouer, au delà des mers, le rôle d’Orphée et de Lycurgue. Partout, se disait-il, l’homme a besoin de patience ; partout il a des ménagements à garder, et j’aime mieux m’accommoder avec mon prince, afin qu’il m’accorde tels et tels droits-, j’aime mieux transiger avec mes voisins, pour en obtenir certaines libèrtés, en leur faisant, d’un autre côté, quelques concessions, que de guerroyer avec les Iroquois, pour les refouler, ou de les tromper par des traités, pour les chasser de leurs marais, où l’on souffre à mourir de la morsure des moustiques.

Il se chargea des biens de la famille ; il sut les administrer d’une manière libérale, les exploiter avec une sage économie, les agrandir de vastes terres du voisinage, qui semblaient inutiles, et, dans le sein de notre monde cultivé, qui, en un certain sens, peut être appelé’bien souvent un désert, il sut acquérir et cultiver un territoire de médiocre étendue, qui, dans- une position bornée, est encore une assez belle utopie.

Dans ce territoire, la liberté de conscience est chose naturelle ; le culte public est considéré comme un libre aveu que les hommes sont unis entre eux, à la vie et à la mort : aussi veillet-on avec soin à ce que personne ne se mette à l’écart.

On remarque dans chaque exploitation des édifices de moyenne grandeur : ce sont des salles que doit construire tout propriétaire d’une commune. Là se rassemblent les anciens, pour délibérer ; là. se réunissent les membres de la commune, pour entendre des enseignements et de pieuses exhortations ; mais ces édifices sont aussi consacrés aux réjouissances : on y donne les bals de noces, et l’on y fait de la musique, le soir des jours de fête.

Ici la nature même peut être notre guide. Sous un ciel presque toujours serein, nous voyons se rassembler, à l’ombre du même tilleul, les vieillards pour délibérer, le peuple pour prier,