Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VII.djvu/93

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l’avait toujours charmé par ses espiègleries comme par ses grâces. Le professeur envoya donc Lucidor chez le grand bailli, pour faire plus intime connaissance avec la jeune fille, et passer ’quelques semaines à se familiariser avec toute la maison. Dès que les jeunes gens seraient d’accord, comme on devait s’y attendre, Lucidor avertirait son père, qui se présenterait aussitôt, afin qu’un engagement solennel assurât pour la vie le bonheur espéré.

Lucidor arrive ; il est amicalement reçu et conduit dans sa chambre ; il fait sa ioilette et paraît. Outre les membres de la famille qui nous sont déjà connus, il trouve un jeune fils, véritable enfant gâté, mais d’un bon caractère, en sorte que, si l’on voulait l’accepter comme le personnage plaisant, il ne cadrait pas mal avec l’ensemble. Parmi les personnes de la maison, se trouvait aussi .un homme très-vieux, mais bien portant et de bonne humeur, silencieux, clairvoyant et sage, touchant au terme de la vie, et rendant encore çà et là quelques services. Aussitôt après Lucidor, survint un étranger, qui n’était plus jeune ; il avait l’air imposant et noble, d’excellentesjnanières, et sa connaissance des pays lointains rendait sa conversation très-intéressante. 11 se nommait Antoni.

Julie accueillit son prétendu d’une manière modeste, mais prévenante. Lucinde fit les honneurs de la maison, comme Julie ceux de sa personne. Ainsi se passa la journée, infinimentagréable pour tout le monde, excepté pour Lucidor, qui, d’ailleurs silencieux, devait, pour ne pas rester muet, se réduire à faire des questions, ce qui ne montre personne à son avantage.

Il éfait’tout à fait préoccupé, car, dès le premier coup d’œil, il s’était senti, non pas de l’éloignement et de la répugnance, mais de la froideur pour Julie ; Lucinde, au contraire, avait tant d’attrait pour lui, qu’il était tout ému, lorsqu’elle arrêtait sur lui ses beaux yeux, calmes et purs.

Ce fut avec ce trouble d’esprit qu’il se retira le premier soir dans sa chambre, et qu’il répandit son cœur dans le monologue par lequel nous avons commencé ; mais, pour l’expliquer et pour apprendre aux lecteurs comment la véhémence d’un pareil flux de paroles s’accorde avec ce que nous savons du jeune homme, nous avons besoin d’ajouter quelques éclaircissements.