Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/120

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sement, demander des traces plus précises du paradis. Ces lieux sont pour la seconde fois le berceau de ce genre humain renouvelé ; il y trouve des ressources de tout genre pour se nourrir et s’occuper, mais surtout pour assembler autour de lui de grands troupeaux et se répandre avec eux de tous côtés. Ce genre de vie, comme l’accroissement des tribus, força bientôt les peuples à s’éloigner les uns des autres. Ils ne purent d’abord se résoudre à laisser pour jamais partir leurs amis, leurs parents ; ils conçurent l’idée de bâtir une haute tour, qui devait les rappeler en leur montrant de loin le chemin. Mais cette nouvelle tentative échoua comme la première : ils ne pouvaient être à la fois heureux et sages, nombreux et unis ; les Elohim les troublèrent, la construction fut interrompue, les hommes se dispersèrent ; le monde fut peuplé, mais divisé.

Cependant nos yeux, nos cœurs, se tournent toujours vers ces contrées. Il en sort de nouveau un patriarche, assez heureux pour imprimer à ses descendants un caractère marqué, et les réunir à jamais en un grand peuple, qui se maintient malgré tous les changements de lieux et de fortune. Abraham s’avance de l’Euphrate vers l’Occident, non sans vocation divine. Le désert n’oppose à sa marche aucun obstacle sérieux ; il a rive au Jourdain, passe le fleuve et s’étend dans les belles contrées de la Palestine méridionale. Ce pays était déjà occupé et assez peuplé. Des montagnes peu élevées, mais rocailleuses et stériles, étaient entrecoupées de nombreux vallons arrosés, favorables à l’agriculture. Des habitations isolées, des villes, des bourgs, étaient dispersés dans la plaine, sur les pentes de la grande vallée dont les eaux se rassemblent dans le Jourdain. Le pays était donc habité et cultivé, mais le monde encore assez grand, et les hommes trop peu soucieux, indigents, et actifs, pour s’emparer d’abord de tout leur voisinage. Entre ces possessions s’étendaient de grands espaces, dans lesquels des troupes nomades pouvaient se promener aisément. C’est là que s’arrête Abraham : Loth, son frère, est avec lui ; mais ils ne peuvent séjourner longtemps dans ces lieux. La constitution même du pays, dont la population augmente et diminue tour à tour, et dont les productions ne restent jamais en équilibre avec les besoins, amène tout à coup une famine, et l’immigrant souffre avec l’indigène, dont sa venue accidentelle a diminué la subsistance. Les deux frères chaldéens se rendent en Égypte. Ainsi nous est signalé le théâtre sur lequel doivent se passer pendant quelques milliers d’années les plus considérables événements. Du Tigre à l’Euphrate, de l’Euphrate au Nil, nous voyons la terre se peupler, et, dans cet espace, un homme illustre, aimé des dieux, qui nous est devenu cher, aller et venir avec ses troupeaux et ses richesses, et les augmenter en peu de temps au plus haut point. Les frères reviennent ; mais, instruits par la famine qu’ils ont soufferte, ils prennent la résolution de se séparer. Ils demeurent tous deux dans le Chanaan méridional ; mais Abraham séjourne à Hébron vers la forêt de Mambré, et Loth gagne la vallée de Siddim, qui (si notre imagination est assez hardie pour ouvrir au Jourdain une issue souterraine, afin de substituer au lac Asphaltite ; une terre solide) pourra et devra nous apparaître comme un autre paradis, d’autant plus que les habitants et