Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/203

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leurs rapports avec l’art. Maintenant, que j’étais abandonné à moi-même et à la solitude, ce don, moitié naturel, moitié acquis, se manifestait. Où que se portât mon regard, je voyais un tableau, et, ce qui me frappait, ce qui me charmait, je voulais le retenir, et je commençai, en véritable novice, à dessiner d’après nature. Tout me manquait pour cela ; cependant je m’obstinais à vouloir, sans aucuns procédés techniques, imiter les choses les plus admirables. Par là, je m’accoutumais, il est vrai, à fixer les objets avec une grande attention, mais je ne faisais que les saisir dans l’ensemble, en tant qu’ils produisaient de l’effet ; et, de même que la nature ne m’avait point fait pour être un poêle descriptif, elle ne voulait point m’accorder le talent de dessiner le détail. Mais, comme c’était le seul moyen qui me restât de me manifester, je m’y attachai avec obstination, avec une véritable manie, poursuivant mon travail avec d’autant plus d’ardeur que j’obtenais moins de résultats.

Cependant je dois avouer qu’il s’y joignait quelque malice : j’avais observé que, si une fois j’avais choisi pour objet d’une laborieuse étude un vieux tronc dans une demi-ombre, aux racines puissantes et tortueuses, contre lesquelles se pressaient des bruyères bien éclairées, accompagnées de gazons éblouissants de lumière, mon ami, qui savait par expérience que, d’une heure entière, on ne s’en irait pas de là, prenait d’ordinaire le parti de chercher, avec un livre, une autre place à son gré. Alors rien ne m’empêchait de me livrer à mon occupation favorite, d’autant plus assidue que je prenais toujours un nouveau plaisir dans mes dessins, où je m’accoutumais à voir bien moins ce qu’ils représentaient, que les pensées qui m’avaient occupé à chaque heure, à chaque moment. C’est ainsi que les herbes et les fleurs les plus communes peuvent nous composer un journal qui nous plaît, parce que rien de ce qui rappelle le souvenir d’un moment heureux ne peut être indifférent. Aujourd’hui même je me résoudrais difficilement à détruire, comme sans valeur, beaucoup de choses pareilles, qui me sont restées de diverses époques, parce qu’elles me transportent en ces temps éloignés, dont je me souviens avec mélancolie, mais non avec déplaisir.

Si ces dessins avaient pu avoir quelque valeur, ils l’auraient