Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/208

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moins n’attirait pas. Elle le sentit de bonne heure, et ce sentiment devint toujours plus pénible, à mesure qu’elle entra dans l’âge où les deux sexes éprouvent un innocent plaisir à se faire mutuellement une agréable impression.

Nul ne peut être choqué de sa propre figure ; la personne la plus laide, comme la plus belle, a le droit d’éprouver du plaisir à sa vue, et, comme la bienveillance embellit, et que chacun se regarde au miroir avec bienveillance, on peut affirmer que chacun doit se voir aussi avec complaisance, dût-il même regimber à l’encontre : toutefois ma sœur avait tellement d’intelligence qu’elle ne pouvait s’aveugler et s’abuser à cet égard. Elle ne savait peut-être que trop bien qu’elle le cédait beaucoup en beauté à ses compagnes, et ne sentait pas, pour sa consolation, que, par les qualités de l’esprit, elle leur était infiniment supérieure.

Si quelque chose peut consoler une femme de n’être pas belle, ma sœur en était bien dédommagée par la confiance sans bornes, l’estime et l’affection que lui portaient toutes ses amies. Plus jeunes ou plus âgées, elles nourrissaient toutes les mêmes sentiments. Une très-agréable société s’était rassemblée autour de Cornélie ; quelques jeunes gens avaient su y pénétrer ; chaque jeune fille avait trouvé un ami : ma sœur était seule restée sans chevalier. Il est vrai que, si son extérieur avait quelque chose d’un peu rebutant, l’esprit qui se faisait jour au travers n’était pas non plus attrayant, car la dignité impose toujours et oblige les autres à se replier sur eux-mêmes. Elle le sentait vivement, elle ne me le cachait pas, et son attachement pour moi en prenait une force nouvelle. Le cas était assez singulier. Tout comme les confidents auxquels nous découvrons une affaire d’amour deviennent, par une franche sympathie, amoureux avec nous et peu à peu nos rivaux, et finissent par attirer l’affection sur eux-mêmes, il en fut ainsi du frère et de la sœur : en effet, quand ma liaison avec Marguerite se rompit, ma sœur mit d’au tant plus d’empressement à me consoler qu’elle éprouvait une secrète joie d’être délivrée d’une rivale, et je ressentais de mon côté quelque malin plaisir, quand elle me rendait la justice de dire que moi seul je savais véritablement l’aimer, la comprendre et l’apprécier. Que si de temps