Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/249

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sujets, et deviennent par là beaucoup plus intéressants que les dieux eux-mêmes, qui, lorsqu’ils ont fixé nos destinées, se dispensent de les partager. Dans ce sens, chaque nation, si elle veut avoir quelque valeur, doit avoir son épopée, pour laquelle la forme du poème épique n’est pas précisément nécessaire.

Si les Chants de guerre entonnés par Gleim conservent un si haut rang dans la poésie allemande, c’est qu’ils sont nés au milieu même de l’action, et que leur forme heureuse, qui semble l’œuvre d’un combattant dans le moment décisif, nous donne le sentiment de la plus entière activité. Ramier chante autrement, mais avec une grande noblesse, les hauts faits de son roi. Tous ses poèmes sont substantiels ; ils nous occupent de grands et sublimes objets, et, par là même, ils conservent une impérissable valeur. Car la valeur intrinsèque du sujet traité est le principe et la fin de l’art. On ne saurait nier, il est vrai, que le génie, le talent cultivé, ne puissent tout faire de tout par l’exécution et surmonter la matière la plus ingrate : mais, tout bien considéré, il en résulte toujours une œuvre artificielle plutôt qu’une œuvre d’art, laquelle doit reposer sur un noble fonds, pour qu’une exécution habile, soignée et consciencieuse, fasse ressortir d’une manière plus heureuse et plus éclatante la dignité du sujet.

Ainsi donc les Prussiens, et, avec eux, l’Allemagne protestante, avaient conquis pour leur littérature un trésor qui manquait au parti contraire, et que ce parti, malgré tous les efforts qu’il a faits depuis, n’a jamais pu remplacer. Les écrivains prussiens s’inspirèrent de la grande idée qu’ils pouvaient se faire de leur roi, et ils montrèrent d’autant plus de zèle, que celui au nom duquel ils faisaient tout ne voulait en aucune façon entendre parler d’eux. Déjà auparavant, la colonie française et, plus tard, la préférence du roi pour la civilisation du peuple français et pour son système financier, avaient importé en Prusse une foule d’idées françaises, qui furent très-avantageuses aux Allemands, en ce qu’elles les excitèrent à la contradiction et à la résistance. L’éloignement de Frédéric pour l’allemand tourna à l’avantage de la culture littéraire. On fit l’impossible pour se faire remarquer du roi, pour obtenir, non pas son estime, mais seulement son attention ; on le fit à la manière allemande, avec une entière conviction : on faisait ce que l’on croyait méritoire, et l’on souhaitait, on voulait, que le roi fût obligé de reconnaître et d’apprécier ce mérite allemand. On ne réussit point, et l’on ne pouvait réussir. Comment peut-on demander qu’un roi qui recherche la vie et les jouissances de l’esprit perde son temps à voir se développer et se mûrir tardivement ce qu’il tient pour barbare ? Il pouvait s’imposer et surtout imposer à son peuple, dans les produits des métiers et des fabriques, des pis-aller très-médiocres au lieu d’excellentes marchandises étrangères : mais, dans ces choses, tout marche plus vile à la perfection, et il n’est pas besoin d’une vie d’homme pour les amener à maturité.

Cependant il est un ouvrage que je dois mentionner ici honorablement avant tous les autres, comme la création la plus vraie de la guerre de Sept ans et l’expression éminemment nationale de l’Allemagne du Nord, la première œuvre théâtrale empruntée à des événements marquants et