Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa condition, qui ne manquaient pas, en toute occasion, de sortir, un fusil sous le bras, pour aller à la chasse des lièvres et des perdrix. Aussi trouvons-nous dans les poésies de Kleist beaucoup d’images éparses, heureusement saisies, mais non toujours heureusement travaillées, qui nous rappellent agréablement la nature. Et maintenant on nous exhortait sérieusement à courir aussi les champs pour chasser aux images. Après tout, ce ne fut pas tout à fait sans fruit, quoique les jardins d’Apel, les potagers, le Rosenthal, Gohlis, Raschwitz et Konnewitz, fussent une singulière contrée pour y chercher du gibier poétique. Cependant ce motif m’engageait souvent à faire ma promenade solitaire, et, comme il ne s’offrait pas à l’observateur beaucoup d’objets beaux et sublimes, et que, dans le Rosenthal (d’ailleurs vraiment magnifique), les cousins ne laissaient, dans la plus belle saison, s’épanouir aucune tendre pensée, je donnai, avec une infatigable persévérance, une grande attention à « la petite vie » (Kleinleben) de la nature, si l’on me permet d’employer ce mot, par analogie avec « la paisible vie « (Stilleben), et, comme les jolies aventures qu’on remarque dans cette sphère disent peu de chose en elles-mêmes, je pris l’habitude d’y voir une signification, qui inclinait tantôt vers le symbole, tantôt vers l’allégorie, selon que la contemplation, le sentiment ou la réflexion prenait le dessus. Je vais en rapporter un seul trait d’entre un grand nombre.

J’étais, comme tout le monde, amoureux de mon nom, et, comme les enfants et le peuple, je l’écrivais partout. Une fois, je l’avais très-nettement et joliment gravé sur l’écorce polie d’un tilleul de moyen âge. L’automne suivant, quand mon amour pour Annette était dans sa plus belle floraison, je pris soin de graver son nom au-dessus du mien. Cependant, vers la fin de l’hiver, capricieux amant, j’avais saisi de frivoles prétextes pour la tourmenter et l’affliger. Au printemps, je revis par hasard la place, et la sève, qui était dans sa force, avait coulé par les incisions qui formaient le nom d’Annette, et qui n’étaient pas cicatrisées, et baignait de ses larmes innocentes les lettres du mien, déjà durcies. La voir ainsi pleurer sur moi, qui avais souvent provoqué ses larmes par mes méchancetés, me jeta dans la consternation. Au souvenir de son amour et de mon injustice, j’eus moi-même les larmes aux yeux ; je courus lui demander deux fois, trois fois pardon, et je fis sur cet événement une idylle, que je n’ai jamais pu lire sans attendrissement, ni réciter à mes amis sans émotion.

Tandis qu’en vrai berger des bords de la Pleisse, je me livrais, d’une manière assez enfantine, à ces tendres idées, me bornant toujours à choisir celles que je pouvais rappeler d’abord dans mon cœur, il s’était ouvert depuis longtemps aux poêles d’Allemagne un champ plus vaste et plus important ! Le grand Frédéric et les exploits de la guerre île Sept ans furent le premier fonds vivant, véritable, élevé, de la poésie allemandes. Toute poésie nationale est vaine ou le devient, si elle ne repose pas sur ce qu’il y a de plus véritablement humain, sur les destinées des peuples et de leurs conducteurs, quand ils sont identifiés les uns avec les autres. Il faut montrer les rois dans la guerre et le danger, où ils paraissent les premiers, parce qu’ils fixent et qu’ils partagent le sort du dernier de leurs