Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occuper une place si honorable, et que d’ordinaire nous lui faisions le même jour une respectueuse visite, pour attraper, après que la grand’mère avait versé le poivre dans sa boîte aux épices, un gobelet et une baguette, une paire de gants ou un vieux raeder-albus[1]. On ne pouvait se faire expliquer ces cérémonies symboliques, qui faisaient renaître comme par magie les temps anciens, sans être ramené dans les siècles passés, sans s’informer des mœurs, des usages et des idées de nos ancêtres, que ces députés, ces musiciens ressuscites, et même ces dons, que nous pouvions palper et posséder, faisaient revivre si étrangement devant nous.

Ces vénérables solennités étaient suivies, dans la belle saison, d’autres fêtes, plus amusantes pour les enfants, qui se célébraient hors de la ville et en plein air. Sur la rive droite du Mein, en aval, à une demi-lieue environ de la porte, jaillit une source sulfureuse, à la riante bordure, entourée d’antiques tilleuls. Non loin de là se trouve là Cour des bonnes gens, ancien hôpital, qu’on avait bâti à cause de cette source. Dans les pâturages communs des environs, on rassemblait, un certain jour de l’année, les troupeaux de gros bétail du voisinage, et les bergers et leurs bergères célébraient une fête champêtre avec des chants et des danses et diverses réjouissances parfois licencieuses. De l’autre côté de la ville, était encore une pareille place communale, mais plus grande, ornée également de fontaines et de tilleuls encore plus beaux. On y conduisait à la Pentecôte les troupeaux de moutons, et, en même temps, on sortait de leurs murailles et l’on menait au grand air les pauvres orphelins étiolés : car c’est plus tard seulement qu’on devait s’aviser que ces créatures délaissées, qui seront un jour obligées de se tirer d’affaire dans le monde, doivent être mises de bonne heure en rapport avec lui au lieu d’être réélues tristement ; qu’il vaut mieux les accoutumer d’abord au service et au support, et qu’on a tout sujet de fortifier leur physique, aussi bien que leur moral, dès la plus tendre enfance. Les nourrices et les servantes, toujours disposées à se ménager une promenade,

  1. Pièce de monnaie, qui avait pour empreinte une roue (armes de l’archeveque de Mayence).