Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/307

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sieurs substances naturelles ; et, comme je savais qu’on avait exposé récemment, dans un ordre plus méthodique, ce qui est du domaine de la chimie, je voulus m’en faire une idée générale, bien que, en ma qualité d’adepte naissant, j’eusse très-peu de respect pour les pharmaciens et pour tous ceux qui opéraient par le feu ordinaire. Cependant je fus vivement captivé par le Compendium de chimie de Boerhave. Je devins désireux de lire plusieurs de ses écrits, et, comme ma longue maladie avait d’ailleurs porté mon attention sur ce qui tient à la médecine, je fus conduit à étudier aussi les aphorismes de cet homme éminent, et j’aimais à les graver dans mon esprit et ma mémoire.

Une autre occupation, un peu plus humaine et bien plus ulile pour mon développement actuel, fut de parcourir les lettres que j’avais écrites de Leipzig à mes parents. Rien ne nous donne plus de lumières sur nous-mêmes que de revoir sous nos yeux ce que nous avons produit quelques années auparavant, en sorte que nous devenons pour nous-mêmes un objet d’observation. Mais, à vrai dire, j’étais alors trop jeune et trop voisin du temps que ces écrits me retraçaient. En général, on ne se dépouille guère d’une certaine satisfaction de soi pendant ses jeunes années, et elle se manifeste particulièrement en ce qu’on se dédaigne soi-même dans un passé encore très-voisin. En effet, comme on s’aperçoit de degré en degré que ce qu’on estime chez soi et chez les autres comme bon et excellent ne soutient pas l’examen, on croit ne pouvoir mieux sortir d’embarras qu’en rejetant soi-même ce qu’on ne peut sauver. C’est ce qui m’arriva. Comme j’avais appris à Leipzig à dédaigner peu à peu mes travaux enfantins, ma carrière universitaire me parut à son tour de peu de valeur, et je ne voyais pas qu’au contraire elle devait en avoir beaucoup pour moi, parce qu’elle m’avait élevé à des méditations et des vues d’un degré supérieur. Mon père avait rassemblé et broché soigneusement mes lettres à lui et à ma sœur ; il avait même corrigé attentivement les fautes d’écriture et de langue.

Ce qui me frappa d’abord dans ces lettres, ce fut la forme extérieure ; je fus effrayé de voir à quel point incroyable mon écriture était négligée depuis le mois d’octobre 1765 jusqu’à la mi-janvier suivante. Puis tout à coup, vers le milieu de mars,