Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/319

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du vénérable édifice ; mais, ce que je ne pus clairement m’eipliquer la première fois, et quelque temps encore, c’est que ce merveilleux ouvrage m’apparaissait comme un monstre, qui m’aurait effrayé, s’il ne m’avait paru en même temps saisissablé par sa régularité et même agréable par le fini du travail. Je ne m’attachai du reste nullement à réfléchir sur cette contradiction, et je laissai cet admirable monument agir graduellement sur moi par sa présence.

Je pris un petit logement, mais agréable et bien situé, au Fischmarkt (marché au poisson), du côté exposé au midi. C’était une grande et belle rue, offrant un mouvement continuel, qui pouvait distraire dans les moments désoccupés. Ensuite j’allai remettre mes lettres de recommandation, et je trouvai au nombre de mes protecteurs un négociant attaché avec sa famille à ces idées pieuses qui m’étaient assez connues, sans qu’il se fût toutefois séparé de l’Église pour le service divin. C’était d’ailleurs un homme raisonnable, et nullement bigot dans sa conduite. La pension qu’on me recommanda, et à laquelle je fus recommandé, était agréable et gaie. Deux vieilles filles la tenaient depuis longtemps avec ordre et avec succès. Nous étions à table une dizaine de convives, jeunes et vieux. Parmi les jeunes, celui dont le souvenir m’est le plus présent, était un M. Meyer, de Lindau. Sa taille et sa figure étaient d’une grande beauté, mais il avait dans toute sa personne quelque chose de mou. Ses facultés admirables étaient gâtées à leur tour par une incroyable légèreté, et son rare esprit par une licence effrénée. Sa figure, ouverte et riante, était moins ovale que ronde ; les organes des sens, les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, étaient développés sans exagération, et annonçaient une riche nature. La bouche surtout était charmante avec ses lèvres renversées, et ce qui donnait à toute sa physionomie une expression particulière, c’est qu’il avait les sourcils joints, d’où résulte toujours pour un beau visage un air agréable de sensualité. Son humeur joviale, franche et bienveillante, le faisait aimer de tout le monde. Il avait une mémoire étonnante ; l’attention aux leçons ne lui coûtait rien ; il retenait tout ce qu’il entendait ; cet heureux esprit savait trouver à toute chose quelque intérêt, et cela lui était d’autant plus facile qu’il étudiait