Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/344

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vieillesse en abondance. » Mais beaucoup de choses parlent aussi en sa faveur, et je vais dire ce que j’en pense. Nos désirs sont les pressentiments des facultés qui sont en nous, les précurseurs de ce que nous sommes capables de faire ; ce que nous pouvons et que nous dédirons s’offre à notre imagination hors de nous et dans l’avenir : nous aspirons à ce que nous possédons déjà sans le savoir. C’est ainsi qu’une anticipation ardente transforme une possibilité véritable en une réalité imaginaire. Quand une pareille tendance existe en nous bien prononcée, à chaque degré de notre développement, s’accomplit une partie de ce premier désir, par la voie directe dans les circonstances favorables, et, dans celles qui sont contraires, par un détour, qui nous ramène toujours à l’autre chemin. C’est ainsi qu’on voit des hommes arriver par la persévérance aux avantages terrestres ; ils s’entourent d’éclat, de richesse et d’honneurs ; d’autres poursuivent, d’une marche plus sûre encore, les richesses spirituelles : ils acquièrent une vue claire des choses, la paix (le l’âme et la sécurité pour le présent et l’avenir.

Mais il est une troisième tendance combinée des deux autres, et dont le succès est le plus certain. Quand la jeunesse de l’homme tombe sur une époque féconde, où la production surpasse la destruction, et réveille à temps chez lui le pressentiment de ce qu’une époque pareille demande et promet, poussé par des mobiles extérieurs à une active participation, il se prendra à diverses choses tour à tour, et le désir de déployer son action de plusieurs côtés s’animera chez lui. Toutefois, à la faiblesse humaine se joignent encore tant d’obstacles accidentels, qu’une œuvre commencée reste interrompue, une chose entreprise tombe des mains, les vœux, l’un après l’autre, s’éparpillent. Mais, si ces vœux étaient partis d’un cœur pur et conformes aux besoins du temps, on peut sans inquiétude les laisser dormir ou tomber à droite et à gauche, assuré que non-seulement ces choses seront retrouvées et relevées, mais que bien d’autres du même genre, auxquelles on n’a jamais touché, auxquelles on n’a même jamais songé, seront mises en lumière. Que si, dans le cours de notre vie, nous voyons accomplir par d’autres les choses où nous portait autrefois nous-mêmes une vocation à laquelle, comme à bien d’autres, nous avons dû renoncer, alors s’éveille en nous cette belle pensée, que c’est l’humanité tout entière qui est seule l’homme véritable, et que l’individu, pour être heureux et content, doit avoir le courage de se sentir dans l’ensemble.

Cette réflexion est ici à sa place : en effet, quand je songe au goût qui m’attirait vers ces vieux édifices ; quand je considère le temps que j’ai donné à la seule cathédrale de Strasbourg, l’attention avec laquelle j’ai étudié plus tard celle de Cologne et celle de Fribourg, en me trouvant toujours plus sensible à la beauté de ces édifices, je me blâmerais volontiers de les avoir ensuite perdus tout à fait de vue, et même, attiré que j’étais par un art plus développé, de les avoir laissés dans l’ombre. Mais, quand je vois maintenant l’attention se reporter sur ces objets ; le goût et même la passion de ces choses s’éveiller et fleurir ; des jeunes gens de mérite en être saisis, consacrer sans ménagements leurs forces, leurs soins, leur fortune, à ces monuments d’un monde passé, je puis me le