Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/345

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dire avec satisfaction, ce que je voulais, ce que je désirais autrefois avait son prix. Je vois avec joie que non-seulement on sait estimer ce que nos ancêtres ont exécuté, mais qu’on cherche à représenter, du moins en dessins, d’après ce qui existe inachevé, le plan primitif, pour nous faire connaître la pensée, qui est en définitive le principe et la fin de toute entreprise ; qu’on s’efforce d’éclaircir et d’animer avec un zèle intelligent un passé qui semble confus. Je louerai surtout ici l’excellent Sulpice Boisserée, qui s’occupe sans relâche à reproduire dans une suite de gravures magnifiques la cathédrale de Cologne, comme modèle de ces conceptions gigantesques, dont la pensée babylonienne s’élançait vers le ciel, et était tellement hors de proportion avec les moyens terrestres, qu’elles devaient nécessairement être arrêtées dans l’exécution. Si nous avons admiré jusqu’à présent que ces constructions aient été poussées si loin, notre admiration sera bien plus grande encore, quand nous apprendrons quel était le véritable projet.

Puissent ces entreprises, qui intéressent les arts et la littérature, être dignement encouragées par tous ceux qui ont le pouvoir, la fortune et l’influence, afin que la grande et colossale conception de nos ancêtres nous soit manifestée, et que nous puissions nous faire une idée de ce qu’ils osaient vouloir ! La connaissance qui en résultera ne sera pas stérile, et nous serons une fois en état de porter sur ces ouvrages un jugement équitable. Et ce jugement s’appuiera sur une base plus sûre, si notre jeune et laborieux ami, à côté de la monographie consacrée à la cathédrale de Cologne, poursuit jusque dans les détails l’histoire architecturale de notre moyen âge. Quand on aura publié tout ce qu’on peut savoir sur la pratique de cet art ; quand on l’aura exposé dans tous ses traits principaux, en le comparant avec l’art gréco-romain et oriental-égyptien, il restera dans ce champ peu de chose à faire. Et moi, quand les résultats de ce* travaux patriotiques seront publiés, je pourrai, comme aujourd’hui, dans les épanchements intimes de l’amitié, répéter cette parole avec une satisfaction véritable et dans son meilleur sens : Ce qu’on désire dans la jeunesse, on l’a dans la vieillesse en abondance.


Mais si, dans les œuvres qui appartiennent aux siècles, on peut s’en remettre au temps et attendre l’occasion, il est d’autres choses, au contraire, dont il faut se hâter de jouir dans la jeunesse, comme de fruits mûrs. Avec cette transition rapide, qu’il me soit permis d’en venir à la danse, à laquelle l’oreille fait songer chaque jour et à chaque heure en Alsace, comme l’œil fait songer à la cathédrale. Dès notre enfance, nous avions reçu, ma sœur et moi, des leçons de danse de notre père lui-même, ce qui pouvait sembler assez bizarre chez un homme si grave ; mais, sans perdre contenance, il nous enseignait avec une parfaite exactitude les positions et les pas, et, quand il nous eut amenés au point de pouvoir danser un menuet, il