Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/395

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yeux, et demeura ainsi jusqu’à ce que je fusse tout près d’elle. Mais, quand tout à coup elle vit la figure étrangère, à son tour elle poussa un grand cri et prit la fuite. Olivia me dit de courir après elle et de l’arrêter, pour l’empêcher de fuir à la maison et d’y faire du bruit. Elle y voulait aller elle-même, et voir où en était le père. En chemin, elle rencontra le valet, qui aimait la servante. « Juge un peu, quel bonheur ! lui crie Olivia : Barbe a son congé, et Georges épouse Lise ! — Je m’en doutais depuis longtemps, » dit le bon garçon, et il resta tout chagrin.

J’avais fait comprendre à la servante qu’il s’agissait uniquement d’attraper le papa. Nous courûmes après le valet, qui nous tournait le dos et cherchait à s’éloigner. Lise le rattrapa, et, lorsqu’il fut détrompé, il lit aussi les gestes les plus drôles. Nous entrâmes ensemble à la maison. Le dîner était servi, et le père était déjà dans la chambre. Olivia, qui me tenait derrière elle, s’avança sur le seuil et dit : « Père, tu voudras bien que Georges dîne avec nous aujourd’hui ? Seulement, il faut que tu lui permettes de garder son chapeau. — Qu’à moi ne tienne, dit le père. Mais pourquoi cette précaution extraordinaire ? S’est-il blessé ? » Elle me fit avancer comme j’étais, le chapeau sur la tête. « Non pas, ajouta-t-elle, en me conduisant dans la chambre : c’est qu’il a, dessous, une nichée d’oiseaux, qui pourraient s’envoler et faire un bruit de démons, car ce sont de malins oiseaux. » Le père prit bien le badinage, sans trop savoir ce qu’il voulait dire. À ce moment, elle m’ôta mon chapeau, fit la révérence, et m’enjoignit d’en faire autant. Le père me regarda, me reconnut, mais il ne sortit pas de sa contenance pastorale. « Hé ! hé ! monsieur le candidat, dit-il, en levant un doigt menaçant, vous avez bien vite changé de profession, et, dans l’espace d’une nuit, je perds un aide qui m’avait promis hier fidèlement de monter quelquefois en chaire pour moi dans la semaine. » Là-dessus il rit de bon cœur, me souhaita la bienvenue et nous nous mîmes à table. Moïse arriva beaucoup plus tard. Comme le plus jeune et l’enfant gâté, il avait pris l’habitude de ne pas entendre la cloche de midi. D’ailleurs il faisait peu d’attention à la société, même lorsqu’il contredisait. Pour le mieux tromper, on m’avait placé, non pas entre les sœurs, mais au bout de la table, où Georges se plaçait quelquefois.