Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/396

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Lorsqu’il entra, par derrière moi, il me donna une vigoureuse tape sur l’épaule, en disant : « Georges, bon appétit ! — Grand merci, mon jeune monsieur, » lui répondis-je. La voix, la figure étrangères le saisirent. « Qu’en dis-tu ? s’écria Olivia. Ne trouves-tu pas qu’il ressemble parfaitement à son frère ? — Mais oui, par derrière, comme à tout le monde, » répliqua Moïse, qui sut d’abord se remettre. Il ne me regarda plus, uniquement occupé qu’il était d’avaler à la hâte les mets qu’il avait à rattraper. Ensuite il lui plaisait de se lever de table par moments et de se donner quelque besogne dans la cour et le jardin. Au dessert, le véritable Georges survint, et il anima encore plus toute la scène. On voulut le railler sur sa jalousie et le blâmer de s’être donné en moi un rival ; mais il ne manquait ni de réserve ni d’adresse, et, avec une demi-étourderie, il mêla sa personne, sa fiancée, son jumeau et les mamselles, de telle sorte qu’on ne savait plus à la fin de qui il était question, et qu’on fut très-heureux de le laisser en paix boire un verre de vin et manger une tranche de son gâteau.

Après dîner, on parla de faire une promenade, ce qui n’allait pas avec mes habits de paysan. Mais, dès le matin, quand les dames eurent appris qui était le personnage qui avait pris la fuite si précipitamment, elles s’étaient souvenues qu’un de leurs cousins avait laissé dans l’armoire une belle polonaise, qu’il avait coutume de mettre pour aller à la chasse, quand il était à Sesenheim. Je la refusai cependant par toutes sortes d’excuses bouffonnes, mais, au fond, parce que ma vanité ne voulait pas détruire, dans le rôle de cousin, la bonne impression que j’avais produite comme paysan. Le père s’était retiré pour faire sa méridienne ; la mère était, comme toujours, occupée du ménage : l’ami me demanda de conter une histoire et j’y consentis sur-le-champ. Nous nous rendîmes sous un berceau spacieux, et je débitai le conte que j’ai écrit plus tard sous le titre de la Nouvelle Mélusine[1]. Ce conte est au Nouveau Paris[2] à peu près ce que le jeune homme est à l’enfant, et je lui ferais ici une place, si je ne craignais pas de nuire par les jeux bizarres de l’imagination à la réalité et à la simplicité champêtres,

  1. Tome VII, page 317.
  2. Voyez plus haut, page 43.